Le deuxième film de l’acteur-réalisateur Scott Cooper rêve de greffer l’ampleur romanesque de James Gray à une radioscopie de la crise américaine. Raté : sa tentative ressemble davantage à un pénible et sentencieux décalque rural de l’affreux Cogan, la mort en douce.
Une fresque indigeste
Difficile de résumer la trame narrative d’Out of the Furnace, tant cette dernière paraît saturée de mille et un ajouts surfaits en guise d’exploration de toutes les facettes d’une Amérique toussoteuse. En l’espace de deux heures, le drame conduit ainsi un récit de vengeance, traite de la relation de deux frères, de l’incarcération puis de la réinsertion de l’un d’entre eux, de la chute de l’autre, de la guerre en Irak, du chômage, de la crise, de la religion, etc.
Soit un grand écart entre le film de genre, le drame social et la tragédie. Ce qui frappe en premier lieu est l’ultra-condensation des thèmes brassés par Scott Cooper, qui esquisse en deux minutes une relation amoureuse, en deux autres le lien qui unit un jeune chien fou (Casey Affleck – la chute continue pour l’ex-prodige de Gerry) à son père de substitution (Willem Dafoe – étonnement transparent), en un plan la fin de vie du pater familias, en deux scènes quelques années de prison.
Tout est compacté, jamais creusé, comme si la quête d’une ampleur à‑même de restituer la complexité d’une époque et d’un milieu passait par l’accumulation de petits fragments, qui, additionnés les uns aux autres, formeraient une large fresque. Cooper multiplie ainsi les symboles comme autant de vignettes : ici, une référence à la réélection d’Obama au détour d’un débat télévisé (involontaire mais révélateur écho au Cogan d’Andrew Dominik), là, un raccord analogique surligné où Cooper soustrait à la vision d’une multitude de petits pavillons uniformes l’alignement de tombes dans un cimetière laissé à l’abandon. Se trouve dans ce piteux effet de montage la quintessence du mal qui contamine l’ensemble du film : une indécrottable fascination pour la fatalité et le misérabilisme comme moteur dramaturgique.
Poussière et amidon
Pire, Copper accuse un passéisme qui confine le film au rang de musée de Madame Tussaud, où les références sont autant de reproductions figées et inertes. À l’instar du Cogan de Dominik, l’ambition de ce vulgaire patchwork se réduit à vouloir ressusciter le « grand » cinéma américain (ici la filiation plus qu’explicite à Voyage au bout de l’enfer de Cimino et à un certain cinéma des 70’s) en l’adjoignant à un contexte contemporain. Mais tout comme pour le boursouflé polar porté par Brad Pitt, la tentative de sublimation se heurte à la matière vulgaire du film et le ton sentencieux dont il fait preuve. À ce titre, le prologue, passablement odieux, donne le la. L’action de la scène, plutôt idiote (un petit malfrat violente une femme, puis tabasse et menace les badauds qui tentent de s’interposer) est hypertrophiée par un décor comme marque d’une pseudo-réflexivité (la scène se passe dans un drive-in, attention, mise en abyme) et un filmage pompeux, multipliant les petits travellings pour mieux signifier l’importance de ce qui se joue. Mais que se joue-t-il, au juste ? Pas grand-chose, là est le problème, mais la mise en scène du film ne va dès lors cesser de vouloir conférer un sens, lourd (dépeindre l’Amérique en crise), à une intrigue en soi bien pauvre, de mimer la grande forme (la tragédie) à partir de fondations au fond très modestes (un film de genre faussement sale).
Dopé par d’incessants détours thématiques, le film, minuscule, parvient finalement à son objectif : muter, grandir, dépasser la pauvreté de son argument originel. Mais ce poussif processus de métamorphose ne produit guère autre chose qu’un chef‑d’œuvre en carton, pensum amidonné long de deux heures.