Avec Black Mass, Scott Cooper s’impose comme l’un des faiseurs les plus antipathiques apparus à Hollywood ces dernières années, un modèle de cinéaste paresseux et cynique à la tête de produits calibrés pour les oscars et son collège d’acteurs emperruqués. Inspiré par la vie du gangster Whitey Bulger, à l’origine également du personnage interprété par Jack Nicholson dans Les Infiltrés, le film est une relecture dénuée d’originalité du cinéma de Scorsese, réduit à un carnaval de poses et de mimiques baignant dans une lumière moins mordorée que jaune pisse. Aucune réelle idée de mise en scène dans ce film de « qualité » (c’est carré, droit, parfaitement soporifique) qui repose uniquement sur les « performances » d’acteurs à la mode ou sur le retour. C’est d’ailleurs la grande attraction du film, le travestissement de Johnny Depp, peut-être dans le rôle le plus ridicule et poussif de sa carrière. Écrasé par son maquillage d’albinos dégarni aux yeux couleur azur (le résultat est aussi absurde qu’il en a l’air), l’acteur joue la carte du bad guy reptilien là où il n’a jamais été meilleur qu’en hurluberlu un peu ébahi. Le pari du contre-emploi peut parfois se révéler payant (exemple récent et parfait : Steve Carell dans Foxcatcher) mais l’interprétation de Depp ressemble davantage à un emberlificotage de traits de caractère qui conjugués visent à retranscrire la supposée complexité psychologique du personnage. Au milieu du casting masculin, où personne ne vient tirer son épingle du jeu, se dégage toutefois fugacement un visage, celui de Dakota Johnson (l’héroïne de Cinquante nuances de Grey), qui confirme après le soft-porn aux millions d’entrées qu’elle est bel et bien une actrice à surveiller.
Que fait donc le film à Venise ? Le clinquant du casting n’explique pas tout : depuis notre arrivée nous n’avons vu presque que des films académiques, à l’exception de quelques cinéastes bien établis, Sokourov, Wiseman, voire Loznitsa. Académisme d’un faible cinéma américain, avec Black Mass, Beasts of No Nation et Everest, mais aussi académisme télévisuel (Winter on Fire, documentaire Netflix sur Maïdan au storytelling efficace mais bien trop calibré) et académisme d’un cinéma d’auteur faussement radical, avec Neon Bull de Gabriel Mascaro, dont nous avions pourtant défendu dans une certaine mesure son Ventos de Agosto, mais qui tombe ici dans des automatismes et postures assez navrants. Plus encore que les cinéastes en question, le premier responsable de cet académisme est le festival lui-même : on a l’impression de moins assister à la projection de films singuliers qu’à des « profils » de programmation – jusque dans la répartition de la sélection au sein du programme, les divertissements américains avec stars se trouvent hors-compétition, tout comme les documentaires, en somme chaque label se voit assigné un périmètre bien défini. On attend beaucoup plus du plus ancien des festivals de cinéma.