Les frères Farrelly et Ben Stiller : un certain niveau d’attente après Mary à tout prix… D’autant plus que tous les ingrédients sont ici réunis pour rééditer la performance de 1998. Et pourtant l’emballage cache un cadeau à la surprise inhabituelle : certaines pièces ont bougé et l’irrévérence des gags n’est plus une fin en soi. Il semblerait que les deux réalisateurs aient décidé de faire parler leur humour potache dans une autre langue : rires… graves.
On doit aux frères Farrelly d’avoir remis au goût du jour – ou plutôt de la critique – la comédie scatologique, celle à l’humour pipi caca qui jusqu’à peu aurait été qualifié de régressif et grossier. Aujourd’hui, on peut enfin assumer ces rires enfantins que l’on était habitués à réprimer. Mais pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Le dossier de presse nous apprend qu’il s’agit du premier film des Farrelly classé R – restricted qui correspond à une interdiction aux moins de 17 ans – depuis Fous d’Irène en 2000. Si les promoteurs de Mary à tout prix pouvaient se vanter à juste titre de leur trouvaille « La comédie qui décoiffe !», c’est plus avec la raie sur le côté que l’on sort de Les Femmes de ses rêves.
Rassurez-vous, ce film n’est pas un mélodrame engagé. Par contre, la vie du protagoniste Eddie (Ben Stiller), elle, est en passe de devenir dramatique. Toujours célibataire, il trouve enfin chaussure à son pied avec la pétulante Lila (Malin Akerman) et décide de l’épouser à toute vitesse, poussé par son entourage. Hélas, ils n’ont pas le temps d’arriver au Mexique que la jeune épouse commence à dévoiler un sacré caractère qui ne manquera pas de transformer cette lune de miel en cauchemar. Ce serait sans compter sur la charmante Miranda (Michelle Monaghan) qui va accroître tous les remords du pauvre Eddie, à peine marié et déjà amoureux d’une autre.
Bien sûr, l’intrigue reste fidèle à l’esprit des Farrelly : pets et autres gags burlesques sont au rendez-vous, néanmoins c’est un amusement moins gras et insouciant qui nous cueille. Des thèmes relativement plus sérieux se dessinent en filigrane, tel le mariage par exemple. On le voit chez Eddie, enfermé dans cet enfer que représente sa vie conjugale, mais aussi dans l’insistance sur la situation de son ami Mac (Rob Corddry), mené à la baguette par sa femme, sans pour autant remettre en question quoi que ce soit. Pour des réalisateurs aussi ancrés dans leur pays que les Farrelly, le mariage semble demeurer une valeur intouchable du WASP puisque autant le père que Mac harcèlent Eddie sur la chose : si cette valeur prend un coup dans Les Femmes de ses rêves, les personnages en restent néanmoins prisonniers. Certains apprécieront ce regain de réflexion adulte, mais force est de constater que l’aspect délirant et enfantin cher aux Farrelly – et à ses spectateurs – y perd un peu. On aurait envie de dire qu’ils se sont rangés du côté des bien pensants, s’il ne restait pas une entorse à la règle qui laisse le style de détournement ironique des deux frères déments intact. La lucidité du traitement et les libertés prises par rapport aux codes du genre sont là pour nous le prouver.
Là où l’irrévérence de l’humour grossier tirait leur filmographie plutôt vers le slapstick, cette fois on a affaire à un registre plus tenu qui semble viser une autre forme de comédie, tendance screwball comedy dirions-nous. Il s’agit de jouer le contre-pied en partant déjà des choix de distributions qui inversent la traditionnelle dichotomie blonde-brune : ici la blonde s’avère être la femme fatale – au sens brutal et littéral du terme –, tandis que la brune revêt le rôle de la parfaite copine, ce que les Anglo-Saxons appellent la girl next door. À partir de là, toute l’intrigue se retrouve inversée puisque c’est l’homme qui est malmené dans sa recherche de la princesse charmante. Encore une fois, ce fameux mariage, jadis indiqué comme étant le nid de tous les bonheurs, n’est ici que le début des calvaires. La valeur de l’union qui régissait les comédies de remariage – théorisées par Stanley Cavell – se trouve également déboussolée. Dans les comédies d’Hawks ou Cukor, le happy end se traduisait souvent par la réaffirmation du couple qui se réunit après de multiples péripéties, se jouant de l’interdiction des antagonismes. Ici, les étapes sont chamboulées et l’aventure se profile différemment : on part du couple pour voir cet acquis du cinéma américain cloué au pilori tout le long. Le spectateur ne peut qu’en sortir désenchanté !
On aura ri mais pas autant qu’on l’imaginait, et au contraire ce sera un arrière-goût de perplexité qui chatouillera notre pensée. Non, effectivement ce n’était pas un gros burlesque, plutôt une comédie romantique ?! Non plus car les Farrelly ne laissent finalement que très peu de répit à cette romance faussement romantique. Le temps de l’humour scatologique n’est peut-être pas fini, mais fait sans doute un pas vers une subversion plus voilée : l’acuité est toujours là, les rires un peu moins. Alors voilà, disons que les deux réalisateurs ont décidé de faire ce qu’ils appellent « une authentique comédie sexuelle adulte ». Dommage, il y a des adultes qui vont aussi au cinéma pour se marrer comme des gamins…