L’ambition comique qui a animé le cinéma des frères Farrelly, de leurs emblématiques Dumb & Dumber et Mary à tout prix à leurs films fous des années 2010 (Les Trois Corniauds ou Dumb & Dumber De), semble désormais bien loin. Si Green Book, le premier film en solo de Peter Farrelly, amorçait un changement de ton, l’argument de The Greatest Beer Run Ever avait de quoi susciter l’espoir d’un retour à ce cinéma déjanté : en pleine guerre du Vietnam, Chickie, un jeune new-yorkais, décide de partir remonter le moral de ses amis sur le front en leur apportant des « bonnes bières américaines ». En fait de comédie, le film se place dans le sillage de Green Book par son traitement didactique et dramatique d’un récit « inspiré d’une histoire vraie », mais sans faire grand chose de son matériau originel. Le génie de Farrelly pour la création de scènes et de situations complètement invraisemblables n’affleure plus que par bribes, le temps de quelques plans (Chickie, affolé, traverse un no man’s land lesté de son sac de bières). Les personnages en décalage avec leur environnement ont pourtant constitué par le passé un terreau fertile pour le cinéma des Farrelly, le duo ahuri de Dumb & Dumber en tête. Mais Chickie, à leur différence, n’est pas complètement stupide. Il s’agit d’un jeune américain patriotique qui se révèle simplement bien vite dépassé par ce défi dont il n’avait pas saisi les dangers. Si la folie de l’entreprise de ce personnage principal fait dans les premiers temps la curiosité du film, son absence de relief rend néanmoins le récit assez vite pesant, et ce d’autant plus qu’il se charge au fur et à mesure d’une morale à gros sabots.
The Greatest Beer Run Ever dépeint, encore à la manière de Green Book, un contexte historique par le prisme d’une histoire individuelle. D’où qu’il fasse du petit quartier, le neighborhood (terme sur lequel le film insiste beaucoup) dont viennent Chuckie et sa poignée d’amis, un miroir des États-Unis : on ne verra pas de grandes reconstitutions historiques des légendaires manifestations contre la guerre, mais seulement un rassemblement dans un parc où une dizaine de hippies agitent des pancartes. Si ce principe fonctionnait plutôt dans Green Book, la manière qu’a ici le réalisateur de figurer une prise de conscience de la réalité de la guerre rend le film particulièrement convenu. Comment Peter Farrelly, cinéaste du politiquement incorrect, en est-il venu à brosser une trajectoire aussi attendue et consensuelle ?