Lionel Baier, entre deux longs…
Rien ne ressemble moins à un film de Lionel Baier qu’un autre film de Lionel Baier. Un autre homme en 2008 décrivait le quotidien d’un jeune homme, entre la rédaction de critiques de cinéma auquel il ne connaissait rien et ses rencontres érotiques avec une critique reconnue, femme dominatrice. Le noir et blanc, la peinture du milieu intellectuel pouvaient étonner, et créaient un effet de contrepied pris par l’auteur de Comme des voleurs (à l’est) en 2006 qui racontait la fuite d’un jeune homme et de sa sœur vers une Pologne dont il se fantasmaient des origines. Les Grandes Ondes (à l’ouest) produit à nouveau la surprise. Film d’époque qui nous plonge dans le kitsch des années 1970 (jusque dans l’utilisation du split-screen), il s’agit d’une comédie à dimension sociale et politique. Entre les deux derniers longs métrages, cinq années se sont écoulées, pendant lesquelles d’autres projets ont vu le jour : Émile de 1 à 5 où le cinéaste questionne la notion de masculinité en regard de l’ouvrage de Jean-Jacques Rousseau De l’éducation, Cartographie 11 – En onze, court-métrage d’un projet collectif consacré à la danse, et Low Cost (Claude Jutra), réflexion sur la mort à travers le portrait d’un cinéaste fictif se pensant condamné et du cinéaste québécois Claude Jutra.
Notons que sort la semaine prochaine (le 19 février 2014) L’Expérience Blocher, documentaire sur l’homme politique suisse Christoph Blocher, réalisé par Jean-Stéphane Bron qui interprète Philippe de Roulet dans Les Grandes Ondes, et produit par Lionel Baier ainsi que d’autres noms du cinéma suisse (Ursula Meier, Frédéric Mermoud). L’entraide qui semble être de mise dans le cinéma national helvète n’est que fantasmée entre Suisse et Portugal dans la fiction.
La comédie politique est de retour
Car le scénario des Grandes Ondes repose sur le souci de la radio suisse de valoriser par des sujets positifs l’entraide qu’elle apporte au Portugal en voie de développement. Une équipe hétéroclite de la radio suisse romande est chargée de ramener de l’ouest de l’Europe des reportages consensuels sur l’aide apportée aux écoles, à l’urbanisation lusophones. Autour du couple mal assorti de la féministe arriviste et du grand reporter misogyne en plein déclin, Les Grandes Ondes se construit comme une comédie road movie où sont contraints de cohabiter des personnages que tout oppose. D’autant que leur mission sans enjeu va être détournée par les événements qui se produisent la nuit du 24 avril 1974…
Confiant qu’il s’est inspiré d’une expérience similaire au cours d’un reportage mené en République tchèque pour la radio suisse en 2009, le cinéaste affirme que « tout est vrai, sauf ce qui a été inventé ». L’aspect documentaire sur le travail de la petite équipe et le métier de la prise de son, de l’enquête, sur les velléités de grandeur journalistique à l’épreuve de la médiocrité du réel peut bien entendu se relire en calquant sur la réalité radiophonique celle du tournage de cinéma. La confrontation de ces petites misères du quotidien avec l’utopie révolutionnaire dans laquelle se trouve prise ce collectif mal assorti renforce encore le sentiment de petitesse de ce qui est créé et se montre emblématique du projet du film. La mixité de l’équipe trouve un écho dans l’hétérogénéité du casting qui accole la naïveté et la sensualité du jeu de Valérie Donzelli à la précision de celui de Michel Vuillermoz, et les entoure de seconds rôles confiés à des acteurs issus d’horizons différents, débutants ou touche à tout. Parler de révolution et d’entraide européenne, c’est bien entendu mettre en perspective les enjeux politiques et sociétaux d’aujourd’hui avec les idéologies sur lesquelles s’est fondée notre société contemporaine. Entre comédie (on retient la très belle idée du jeune Portugais qui a appris le français en voyant les films de Pagnol et parsème ses phrases de « Peuchère ») et questionnement politique, le film s’engage dans l’héritage d’une certaine tradition italienne de l’après-guerre (Monicelli, par exemple). Sautant joyeusement d’une tonalité à l’autre, le film finit par ressembler à son équipe de sympathiques bras cassés, brinquebalant, et à l’inégalité assumée.