Depuis Garçon stupide son premier long-métrage de fiction sorti en 2004 aux Grandes Ondes (à l’ouest) en 2013 en passant par Comme des voleurs (à l’est), le réalisateur suisse Lionel Baier a toujours fait preuve d’une certaine appétence pour le mouvement, la cavalcade, le road-movie, faisant de chaque scène une bourrasque et dessinant pour ses personnages des chemins aussi sinueux qu’inattendus. Autant dire que le parti-pris formel de La Vanité, son dernier long-métrage, a dans un premier temps de quoi déconcerter : les premiers plans rendent compte d’un décor de carton-pâte totalement figé, celui d’un motel de campagne aux couleurs plutôt vives construit sur ses modèles américains. Les références cinématographiques ne sont évidemment pas à aller chercher bien loin : de Psychose (avec ce lieu coupé du reste du monde tenu par un jeune homme au comportement un peu étrange) aux mélos de Douglas Sirk (qui filmait ses personnages dans un écrin pour donner une dimension bigger than life aux drames qu’ils traversaient), Lionel Baier semble avoir révisé ses classiques afin de nous offrir un film formellement plus léché que ses précédents, dans le sillon de ce que les anti-naturalistes Mikaël Buch (Let My People Go !) ou Yann Gonzalez (Les Rencontres d’après minuit) ont pu proposer ces trois dernières années.
Architecte de sa destinée
David Miller (Patrick Lapp), architecte à la retraite et atteint d’une maladie incurable, arrive dans le motel en question afin d’y retrouver Esperanza (Carmen Maura), une femme de son âge officiant pour une association qui pratique le suicide assisté pour les cas incurables. La confrontation des deux personnages auquel se mêle le jeune prostitué de la chambre d’à côté, embauché comme témoin légal de l’opération après la défection du fils de l’intéressé, donne au départ le sentiment d’un dispositif complètement vissé sur lui-même. Quasiment limitée à la chambre où doivent se dérouler les opérations (à l’exception de quelques scènes absurdes dans la discothèque vide attenante au motel), la mise en scène semble s’accrocher à un récit dont le seul moteur réside dans la résolution d’un enjeu connu dès le début. Afin de gonfler artificiellement le suspense (sachant que le film est pourtant déjà très court, 1h15 seulement), des rebondissements et autant de défections viennent continuellement remettre à plus tard la scène attendue, laissant les personnages disserter de manière assez badine sur la mort et le désir. On le comprendra assez rapidement : pour Lionel Baier et son personnage principal, il s’agit en fait des deux seuls versants de l’existence, son achèvement étant symbolisé par la tentation d’une petite mort fantasmée par le condamné dans une chambre de motel en compagnie d’un jeune homme peu farouche.
Chemins de traverse
On pourrait en rester là et considérer La Vanité comme un peu trop attendu et lisible dans ses intentions pour susciter l’adhésion. Ce serait probablement faire fi des indices que le film parsème pourtant dans sa première moitié : des inserts sur des intérieurs dépeuplés (ceux abandonnés par les personnages enfermés dans ce motel ?) qui sont autant d’appels d’air vers un ailleurs, les rappels d’une vie qui précède le récit et dont on n’aura finalement que des bribes. Ces échappées furtives, contrechamp d’une atmosphère complètement verrouillée, ne sont en fait qu’une sorte d’introduction au déraillement à venir : du condamné à la donneuse de mort en passant par l’éphèbe, chacun est forcé de rebattre les cartes de son jeu, peu à peu conscients de l’écart entre leur vision préfabriquée du monde et l’imposture auquel ce petit jeu les a condamnés. Tout en évitant les pièges des grands discours sur le sens de la vie, Lionel Baier dépeint avec une tendresse jamais complaisante les aspects les plus dérisoires de l’existence de ses personnages. Si La Vanité retombe presque in extremis sur ses pattes malgré un dernier plan dont le joli spleen n’a d’égal que son symbolisme appuyé, on aurait cependant aimé un lâcher-prise un peu plus radical pour être tout à fait convaincus.