Après six courts-métrages remarqués, le réalisateur Yann Gonzalez a fait sensation à Cannes avec son premier long : Les Rencontres d’après minuit. Et on comprend pourquoi. Derrière son sujet provoc’, il nous invite à une orgie cinématographique intense aussi osée que poétique dont on aurait bien tort de refuser l’invitation.
Hasard ou coïncidence, Les Rencontres d’après minuit a été présenté à Cannes en même temps que L’Inconnu du lac et La Vie d’Adèle, deux films qui, par leur approche frontale de la sexualité, ont apporté un vent de liberté bienvenu dans le cinéma français. Sur le papier, le premier long-métrage de Yann Gonzalez (après six courts remarqués) aurait même pu remporter la palme de l’über-sexualité. Dans un appartement eighties que l’on croirait sorti d’un clip de David Bowie, un couple et leur bonne travestie attendent quatre convives (la Chienne, la Star, l’Étalon et l’Adolescent) pour une petite sauterie nocturne. Mais de fil en aiguille, cette promesse de partouze restera un fantasme. Le scandale, un parfum.
« L’odeur de la baise est déjà là, et pourtant ce n’est qu’une hypothèse. » Cette réplique de la bonne pourrait très bien résumer l’esprit du film. Comme dans Les Mille et Une Nuits, les corps à corps sont toujours retardés. Les Rencontres d’après minuit n’est pas un film animal. C’est un film de préliminaires, plutôt pudique. L’expectative prévaut sur l’explicite pour mieux entretenir la charge érotique de la situation. Car ici, les rapports sont avant tout textuels. La parole devient l’appendice le plus vigoureux quand, dans une logorrhée éjaculatoire, l’avalanche de mots provocateurs suffit à figurer ce qui restera, bien souvent, en hors-champ. Peu à peu, dans un jeu de poupées russes, les personnages sortent de leurs archétypes pour mieux incarner leurs désirs. Ce qui importe ce n’est pas ce qu’ils vont faire mais pourquoi ils sont ici et ce qui motive leurs pulsions. Chacun leur tour, ils se racontent dans des reliquats de courts-métrages qui sont autant d’échappées vers l’extérieur du salon qui les enferme. Chacun, à leur manière, ils nous ouvrent aussi à la puissance charnelle du cérébral. À la fin du film, alignés sur une plage fantomatique, les personnages, comme dans Bent passeront à l’acte virtuellement par le simple pouvoir des mots.
Du principe de partouze (avec des individus de différents sexes et origines), Les Rencontres d’après minuit retient surtout un goût pour l’assemblage. À commencer par le casting qui réunit des acteurs complètement hétéroclites. Fabienne Babe couche avec le fils Delon. Niels Schneider et Kate Moran forment un couple de vampires prédateurs. Éric Cantona et son appendice indécent deviennent les esclaves de Béatrice Dalle sous le regard lubrique de Jean-Christophe Bouvet. Julie Brémond assouvit ses pulsions au milieu d’une galerie d’hommes objets… Cette sauce transgenre prend car elle a un bon liant : la bonne. Par son statut de monsieur-dame et ses vertus socialisatrices, le personnage, formidablement interprété par Nicolas Maury, désamorce ainsi toutes les dissonances. Les influences cinématographiques, aussi, sont multiples. Cocteau, Fassbinder, Pasolini, Carax et bien d’autres sont de la partie. Mais les maîtres sont loin d’être castrateurs. Ils apparaissent plutôt comme des constellations sur lesquelles le spectateur peut projeter sa propre mémoire d’images. Des images balises qui ont toutes en commun de convoquer un passé où l’artifice est roi.
Par cette propension au collage, Les Rencontres d’après minuit pourrait ouvrir la voie à un nouveau « surréalisme ». Ce surréalisme qui, à l’époque de Breton et consorts, ne cherchait pas à reproduire le réel mais à nous en faire sentir la musique intime par un assemblage pop et (ré)créatif, une balade au gré des mots, des images et du hasard. À une époque qui croit surtout au naturalisme, le pari était risqué. Le film aurait très bien pu se trouver prisonnier de son propre système, tourner en rond dans un dispositif qui, par la nature des dialogues et l’unité spatio-temporelle, pourrait se complaire dans sa théâtralité. Mais cette contradiction est rapidement dépassée par la mise en scène et une dernière partie qui explore des terrains plus fantastiques. Sur la musique vaporeuse du juke-box sensoriel (principalement composée par M83, le groupe d’Anthony Gonzalez, le frère de Yann), la caméra se laisse aller au gré des travellings pour dévoiler la cinégénie de l’atmosphère. « Il y a un cinéma ici ?» demande alors Fabienne Babe avant de se retrouver plongée, avec les autres convives, dans une salle obscure. Car l’invité suprême de ces rencontres, celui qui maintient le groupe dans la fébrilité érotique de tous les possibles, celui aussi qui dispersera ces fantômes au lever du jour, c’est bien le septième art. Et finalement, si ces « rencontres » sont aussi excitantes, c’est qu’elles comblent avant tout notre désir de cinéma(s).