Macbeth (1948) est la première incursion d’Orson Welles dans l’œuvre de William Shakespeare. Un chef-d’œuvre insolite, qui fait figure de film-charnière dans une filmographie pour le moins chaotique. Alors que sa cote est en chute libre dans un Hollywood de plus en plus hermétique à son talent, Welles est résolu à tourner coûte que coûte, n’hésitant pas à s’associer avec le studio Republic, usine à séries B voire Z, lui qui, naguère, avait bénéficié, pour son premier film, du contrat le plus faramineux jamais signé avec une major jusqu’à ce jour. Le financement dérisoire, les décors en carton-pâte et les comédiens de seconde zone achèvent alors de ternir sa sulfureuse réputation. Macbeth met à la fois un terme à sa carrière de réalisateur hollywoodien et amorce sa vie d’artiste maudit, jusqu’au-boutiste et fauché. Ses films adopteront désormais une texture particulière, mélange de bric-à-brac bon marché et de virtuosité cinématographique indépassable. En Amérique, Welles est désormais un « has been ». Pourtant, Macbeth est une œuvre dont la puissance visuelle, l’audace formelle et la complexité dramaturgique n’a d’égale que la pauvreté de ses moyens.
L’expressionnisme abstrait contre l’académisme
Macbeth de William Shakespeare est une pièce sur les effets néfastes de l’ambition. Macbeth, chevalier haut gradé, croise des sorcières qui lui prédisent qu’il sera roi. Fort de cette annonce et encouragé par sa femme, il assassine son souverain pour accéder au trône. Il devient un tyran sanguinaire dont la fureur et la folie le mèneront à sa perte.
Sorti la même année que le très sage Hamlet de Laurence Olivier, le Macbeth d’Orson Welles en déconcerta plus d’un. Jouant de son petit budget pour créer une atmosphère fantasmagorique et mortuaire, le film va à l’encontre de toute idée reçue sur l’œuvre de Shakespeare, Ce qui perturba les spectateurs d’alors, c’est l’adaptation sans concession de la pièce originale, à commencer par l’accent écossais qu’adoptent les comédiens. Welles avait compris que l’idée d’un théâtre élégant et précieux s’accordait peu avec les histoires tourmentées et extrêmement violentes du célèbre dramaturge anglais. Le théâtre britannique, contrairement au français ou à l’italien, n’est pas issu des préceptes d’Aristote et des unités qu’il préconisait. Là où raffinement et bienséance régnaient sur le continent, le public insulaire d’outre-Manche se gaussait souvent devant un spectacle « barbare » où il n’était pas rare de voir des effluves de sang. Pour Welles, la seule idée d’une représentation académique de Shakespeare est une absurdité, un non-sens total.
L’onirisme cauchemardesque de la mise en scène hante le film dès les premières images de brume en fondu enchaîné, bercé du son d’un orage tonitruant. S’y ajoutent des voix de femmes âgées, récitant une formule monstrueuse et préparant une mixture maléfique. De leur potion poisseuse sort un pain de glaise que leurs doigts griffus achèvent vite de transformer en une effigie de Macbeth. Ces femmes sont trois sorcières maléfiques dont Welles dissimule constamment le visage dans l’obscurité afin que leurs voix semblent sortir de nulle part, leur conférant une aura de toute-puissance. Elles interpellent deux guerriers de passage, Macbeth et Banquo, et leur prédisent à chacun leur avenir : Banquo aura une descendance de rois et Macbeth deviendra Thane de Cawdor avant d’être roi. Leur pouvoir de voyantes ne tarde pas à se vérifier : des gardes royaux viennent expressément annoncer à Macbeth que le Thane de Cawdor est destitué de son rang pour trahison et que le titre lui revient de droit. Stupéfait par la promptitude de la divination, Macbeth s’approche de la caméra et, se souvenant du trône qu’on vient à l’instant de lui promettre, envisage déjà de forcer le destin. Une idée ignoble lui traverse l’esprit : ce seigneur, courageux soldat digne de son statut, n’en reste pas moins un être dévoré d’ambition. À peine vient-il d’être promu que déjà il convoite le trône.
Après avoir envoyé une missive à son épouse, lui énonçant les prophéties des vieilles sœurs (qu’elle accueille avec un enthousiasme non feint), Macbeth arrive au terme de son voyage, dans le château de Dunsinane qui se dessine au loin dans un plan d’ensemble inquiétant. Le château, sombre et se découpant sur un ciel ombrageux, ressemble plus à une forteresse des ténèbres qu’à un château fort du Moyen Âge. Le décor, fait de fumigène et de carton-pâte réalisé intégralement en studio, ressemble à un « univers de préhistoire » selon les termes d’André Bazin : « non celle de nos ancêtres les Gaulois ou des Celtes, mais d’une préhistoire de la conscience à la naissance du temps et du péché, quand le ciel et la terre, l’eau et le feu, le bien et le mal, ne sont point encore distinctement séparés ». Il y a un aspect primitif dans Macbeth, qui renvoie aux tréfonds de l’âme humaine et en symbolise la brutalité inconsciente dans un mélange de matières boueuses, de mur ruisselant, de métal mal traité, de peau de bête, de pierres grossièrement taillées. Bazin ajoute également que « ce décor, qu’on peut trouver laid, évoque-t-il du moins par l’espèce de drame tellurique dont il révèle les métamorphoses le drame métaphysique de Macbeth ». Ce monde à la composition graphique prononcée, peuplé de soldats mutiques qui arborent de lourds casques d’aciers et brandissent de démentes lances-croix longilignes, symbolise l’architecture du pessimisme shakespearien dont Welles a imbibé son œuvre : « Shakespeare était terriblement pessimiste, explique-t-il. Mais comme beaucoup de pessimistes, c’était aussi un idéaliste. Seuls les optimistes sont incapables de comprendre ce que signifie aimer un idéal. » Welles s’est toujours appliqué à retranscrire les conflits internes des personnages. C’est là, la base de sa mise en scène expressionniste. Chacun, selon lui, est maître de son destin et peut décider de la fin de ses tourments mais n’en fait rien. C’est ce qui reflète son pessimisme et explique pourquoi l’intrigue a toujours été plus ou moins secondaire dans ses films. Elle n’est parfois même qu’un prétexte, non pas pour laisser libre cours à une virtuosité esthétique gratuite, mais pour mieux traiter de l’homme dans son intégrité. La mise en scène, en se débarrassant des contraintes narratives, accède directement à l’humanité de ses personnages. En ce sens, par son traitement purement expressionniste, Macbeth est son film le plus abstrait.
Une ambition mortelle
De Shakespeare, Welles retient également son sens du morbide. Ainsi, lorsqu’il met en scène les retrouvailles de Lady Macbeth et de son mari (tandis que l’ancien Cawdor fraîchement destitué, en montage alterné, se fait décapiter), le plan d’ensemble, qui montre leur étreinte sur la droite de l’écran, met en évidence un pendu à l’arrière-plan qui croupit là depuis manifestement plusieurs jours. L’amour est comme cerné par la mort. Dans une communion télépathique funeste, Lady Macbeth n’attend pas plus longtemps pour évoquer, une pensée similaire à celle de Macbeth. L’interprétation de Welles est confiante, d’une contenance droite. L’ambition exacerbée du futur roi n’est visible que dans son œil songeur. Il n’est pas certain que Macbeth aurait été capable d’aller au-delà de la simple rêverie de grandeur. Mais lorsqu’il entraperçoit chez Lady Macbeth la même soif de fortune, son regard se fait inquiet, fuyant, hagard. Il perd de l’assurance en réalisant la gravité de ce qu’elle suggère. Macbeth incarne peut-être l’ambition, mais Lady Macbeth est le feu qui l’attise.
Ainsi, quand le roi Duncan pénètre l’enceinte de la forteresse, son sort est déjà réglé. Ce bon roi, auquel Macbeth semble vouer une grande dévotion, n’en inspire pas moins la crainte. Il demande, après avoir contemplé la tête empalée de l’ancien Thane de Cawdor, à voir Macbeth, le digne successeur du titre. Ce dernier se met à genoux devant lui, de trois quart dos à la caméra, acculé dans le coin droit en bas de l’écran. Duncan se tient fièrement en face de lui et occupe naturellement le centre de l’image. Derrière lui, on aperçoit le piquet sur lequel fut planté la tête de l’ancien Cawdor, en haut, à la gauche du plan. Cette composition, où les trois têtes s’alignent sur la diagonale de l’image, avec de part et d’autre du roi le nouveau et l’ancien Cawdor, contraste avec les paroles attentionnées de Duncan. Aussi bon roi soit-il, il n’en est pas moins capable de faire décapiter ses généraux de manière intransigeante. Mais on peut aussi voir sur cette diagonale l’actuel et le futur roi, dominés par la mort qui les contemple.
L’enjeu de la coupe
La scène de l’assassinat est le point dramatique central du film. À l’inverse du Macbeth de Polanski (1971) qui nous montrait le meurtre dans son intégralité, sans nous épargner les détails les plus sordides, Welles le dissimule en hors-champ lors d’un plan-séquence de dix minutes. Le mouvement de caméra très complexe qui le compose, rythme la scène par les diversité des axes. Mais ce choix de point de vue agit également comme un plan fixe, car il enferme les personnages dans un espace claustrophobique : jamais les personnages ne quitteront la cour. Attardons-nous sur la mise en scène de cette séquence. Les deux époux concrétisent leur plan : Macbeth se dirige vers la chambre de Duncan afin de commettre son méfait. Reste alors Lady Macbeth, seule dans le cadre. C’est ce qu’Alain Bergala nomme « l’intervalle élastique, « une figure s’éloigne ou se rapproche d’un pôle fixe qui, identifié ou pas à une figure de la fiction, est celui du regard de la caméra (…). L’élastique est le contraire du montage, d’une certaine façon puisque cette figure matérialise dans le temps et dans l’espace l’intervalle dans un parcours visible et continu. Elle accumule la tension du temps dans cet intervalle. » Tension qui prend ici une ampleur considérable du fait qu’elle tourne autour d’un meurtre non visible à l’image. Les intervalles élastiques vont se multiplier durant tout le plan : Macbeth retourne dans la cour, l’arme du crime à la main, ayant omis de la laisser sur place. Il pousse alors sa femme à la rapporter dans la chambre de Duncan. C’est au tour de Macbeth de rester seul dans le cadre. Puis elle revient, et tous deux s’éloignent, quand de lourds coups retentissent à la porte du château. Le portier entre dans le champ et introduit Macduff tandis que Macbeth réapparaît à l’image, vêtu de ses habits de nuit. Macduff se rend dans la chambre de Duncan. La prolifération de ces allées retours de la cour à la chambre de Duncan renforce de manière impitoyable la longueur du plan : en lui ajoutant la notion de distance, cette séquence produit un effet de rétention dramatique. C’est une figure que l’on retrouve beaucoup notamment dans le cinéma de Mizoguchi : elle provoque sur le spectateur un sentiment d’étouffement. Ce n’est qu’à la coupe qu’il est possible d’être « libéré » et focaliser son attention sur autre chose. La coupe n’arrive que lorsque Macduff découvre le meurtre : le relâchement de la tension intervient au paroxysme de la scène. Ce « plan-bobine » maintient le spectateur dans un état de contraction grâce à l’authenticité du rapport temps/distance. Welles réutilisa cette figure en la poussant à son comble avec le célèbre plan d’ouverture de La Soif du mal (1958).
Ce rapport tisse également un lien direct avec le théâtre qui, par définition, n’a pas de coupe, mais seulement des interruptions (comme l’entracte). La continuité y est absolue. La théâtralisation de la mise en scène, dont le prétexte est l’œuvre dont elle est issue, l’autorise à toutes les audaces, toutes les outrances. Que le décor fasse toc, que les costumes paraissent anachroniques, que les moyens mis en œuvre soient peu convaincants, n’importe pas vraiment. Le film revendique sa pauvreté et s’en sert pour balayer d’un revers de main toute question de vraisemblance afin d’élaborer un univers psychique plutôt que réaliste. Les artifices du théâtre se transforment en arguments cinématographiques avant même qu’il soit question de découpage. C’est d’ailleurs le grand acte de résistance de Welles que de s’être toujours accommodé des moyens mis à sa disposition pour y puiser la force de ses films. On peut s’amuser à comparer les différentes manières dont furent réalisées, l’une après l’autre, deux de ses œuvres shakespeariennes. Si Macbeth fut tourné en vingt-et-un jours, en studio, suite à une répétition draconienne, Othello, lui, s’étala de 1949 à 1952, entièrement en décor naturel, éparpillé entre Venise et le Maroc. Les plans très courts d’Othello, tout en champ-contrechamp (dicté, selon l’aveu de Welles, par l’impossibilité de réunir tous les comédiens en même temps sur le plateau), détonnent avec les plans-séquences de Macbeth. Macbeth est le récit d’une introspection horrifique sur les tourments de l’ambition tandis qu’Othello est réalisé comme un film noir qui transcenderait la paranoïa qu’engendre la jalousie. Tous deux, de façon totalement opposée, recréent un univers hors du temps : « Dans Macbeth, Welles avait pris le parti de recréer de toutes pièces un univers artificiel, indique Bazin, un monde fermé sur son incomplétude, comme une grotte. Dans Othello, l’artifice est à ciel ouvert et recréé à partir d’une matière entièrement naturelle. (…) Welles invente à partir des pierres de Venise ou de Mogador une architecture dramatique imaginaire. »
La grandeur du Tyran
La complexité de Macbeth s’évalue à la multitude de formes hétéroclites d’où il tire sa matière : son imagerie qui rappelle le cinéma d’épouvante, sa direction d’acteur théâtrale, ses intervalles proches de Mizoguchi et ses séquences dont la structure visuelle renvoie à Eisenstein – comme celle de la confusion qui suit la découverte de l’assassinat de Duncan. De ce terrible événement naît à l’écran un défilé continu de plans où s’opposent les différentes valeurs de cadre, les lignes de fuite, et les points de vue. Macbeth profite de ce chaos pour tuer les deux gardes drogués du roi afin de renforcer leur culpabilité. Ce geste est le crime de trop, celui qui, alors qu’il devait l’en éloigner, fait peser sur lui les soupçons. Macduff et Malcolm (le fils de Duncan) préfèrent s’éloigner et se réfugier en Angleterre, abandonnant leur famille à Dunsinane. Mais Macbeth oublie déjà le meurtre qu’il vient de commettre pour se soucier de la prophétie des sorcières. Si elles ont deviné juste à son propos, il est aussi probable qu’elles aient dit vrai pour Banquo. Dans ce cas, Macbeth aurait « souillé (son) âme pour la race de Banquo ». Lady Macbeth contemple la rage de son mari, constatant la machine sanguinaire qu’elle a mise en route et qu’elle ne peut arrêter. Lorsqu’elle veut l’amadouer en l’invitant à aller se coucher, celui-ci « l’efface » du plan en tirant entre elle et lui le rideau auquel il s’agrippait. Elle n’a désormais plus l’ascendant sur lui.
La première apparition de Macbeth roi est montrée dans le reflet déformé et flou d’un vieux miroir, comme pour mieux souligner son statut de souverain usurpé. Il défile à moitié ivre devant ses sujets qui se prosternent sur son passage. Cette image est abondamment déclinée sous tous les axes et est accompagnée d’une musique dissonante en trombone grave et clarinette aigue, comme pour mieux signifier la mascarade qui régit dorénavant ce royaume. Macbeth est un monarque grotesque qui a perdu toute la prestance qui émanait de lui lorsqu’il était encore « simple » Thane de Glamis, comme le signifie sa posture : affalé sur son trône, les bras tombants et le dos voûté. La thématique centrale de l’œuvre de Welles, l’aliénation du pouvoir, est ici illustrée par cette couronne trop volumineuse pour sa tête, symbolisant cette nouvelle responsabilité qu’il a usurpée et qui l’écrase.
Accablé par le doute, perdu dans son isolement, Macbeth ne compte plus que sur les prédictions des sorcières pour le guider. La foudre se déchaîne, un vent violent se lève et écarte tout décor et toute lumière, laissant Macbeth dans un lac d’ombre dont seul son visage émerge. Le point de vue distant, en plongée complète, se rapproche doucement de lui tandis que les sœurs maudites lui annoncent qu’il n’a rien à craindre tant que le bois de Birnam n’arrive pas jusqu’à Dunsinane et que nul homme né d’une femme ne peut le vaincre. Il regarde la caméra, son visage maintenant en gros plan rasséréné, mais l’œil écarquillé comme débordant de folie meurtrière. Le travelling, en resserrant son cadre sur Macbeth, a chassé le néant qui l’entourait à l’extérieur de l’écran comme pour signifier que les prédictions des vieilles sœurs avaient calmé ses craintes. Il est apaisé, mais l’obscurité n’a pourtant pas disparu autour de lui, elle est simplement hors champ. Ce mouvement de caméra introduit la crédulité de Macbeth qui ne voit pas au-delà des faits, mais se contente de ce qu’on lui présente.
Assuré de ne pas périr, Macbeth retrouve de sa superbe. Invincible, parce que convaincu de l’être, il s’est redressé, son regard s’est durci, tout autant que sa cruauté et sa détermination. Welles signe sans doute l’une des scène les plus violentes de sa filmographie avec le massacre de la femme de Macduff et de son fils de huit ans. Les cris stridents du jeune garçon qui tente de fuir traversent les plans très courts qui se succèdent. Rattrapé par un soldat qui le plaque au sol, l’enfant hurle tandis que plusieurs coups de couteau traversent sa maigre carcasse. Un gros plan sur le visage du militaire, les yeux pétillants, le sourire béat, exprimant le plaisir sadique le plus basique, illustre de plein fouet la violence shakespearienne où les infanticides côtoient les félonies politiques. Ce gros plan permet de maintenir hors champ la barbarie mais expose néanmoins l’horreur dans sa plus complète crudité : la violence ne vient pas tant de l’acte que de la jouissance qu’elle procure. Rarement le cinéma a mis en scène une action aussi immonde de manière aussi brutale avec si peu de complaisance.
Alors qu’il récupère la fierté de guerrier qui sied à sa couronne, Macbeth perd, sans vraiment le comprendre, tout ce qui l’a poussé à agir jusqu’à maintenant. Son royaume s’effrite, la plupart de ses sujets rejoignent la rébellion organisée par Macduff et Malcolm avec le concours de l’Angleterre qui se prépare à l’attaquer. À sa cour ne reste plus que les pleutres, les flagorneurs et les arrivistes de triste envergure. Sa femme sombre dans la démence avant de se suicider. Welles explique le sens de la pièce : « C’est un homme détestable jusqu’à ce qu’il devienne roi, et, une fois couronné, il est fichu ; mais dès qu’il est fichu, il devient un grand homme. Jusque-là, il est victime de sa femme et de son ambition, et l’ambition est une chose détestable, une faiblesse : tous ceux qui sont victimes de l’ambition sont, d’une manière ou d’une autre, des faibles. » Il y a souvent chez Welles une grandeur retrouvée dans la déchéance, voire la mort : Kane comprend le sens de sa vie une fois isolé du monde dans son grand manoir (Citizen Kane, 1941) ; Quinlan meurt en faisant comprendre qu’il a plusieurs fois sacrifié sa vie à sa cause (La Soif du mal) ; Arkadin préfère se suicider plutôt que d’affronter le regard de sa fille qui sait désormais qui il est (Dossier secret, 1955) ; après une vie de gredin et avoir été rejeté par le roi, Falstaff voit tous ses compagnons affectés par le plus grand des chagrins à sa mort (Falstaff, 1966); et, quand il comprend que les sorcières se sont jouées de lui, Macbeth décide de lutter quoi qu’il arrive. Son sort scellé, il résistera jusqu’à son dernier souffle.