Dans Millions, Danny Boyle relève le défi de construire un univers enfantin, teinté de poésie et de personnages magiques. Une nouvelle fois, Boyle cherche avant tout des idées de mise en scène plutôt que de creuser son sujet, sujet diablement intéressant puisqu’il s’agit de celui de l’enfance et de son rapport au monde. Sans doute a-t-il oublié l’essentiel : la fluidité narrative.
Aussitôt que les premières images apparaissent, la volonté de Danny Boyle de créer un petit univers cinématographique se fait sentir. Ce sont Anthony (10 ans) et Damian (8 ans) qui vont permettre sa construction. Ces deux frères, héros de Millions, ont un caractère bien opposé. Alors que l’aîné est un garçon intéressé par les jeux vidéo et le sport, le cadet vit sur une autre planète, faite de saints qu’il croise quotidiennement. Cependant, tous deux ont un point commun : celui de rêver et de transformer la réalité en un passionnant voyage féerique. Et cette transformation naîtra de la venue d’un évènement peu ordinaire. Un sac rempli d’argent tombe sous les yeux ébahis de Damian qui pense aussitôt à une intervention divine. Le plan de ce sac tombant subitement sur son refuge personnel, l’intrigue prend une nouvelle tournure. De scènes en scènes, la magie illusoire formée par l’argent va se créer… Voilà Damian et Anthony partis pour une aventure de l’irréel !
Malheureusement, l’enthousiasme du spectateur n’est pas à la hauteur des personnages fictionnels. Si Danny Boyle est un plasticien plutôt doué, aidé il faut le dire par le directeur de la photographie Anthony Dod Mantle (Festen de Thomas Vinterberg, Dogville de Lars von Trier…), il n’est pas un créateur d’atmosphère, encore moins onirique. Alors qu’un Tim Burton serait d’une virtuosité sans égal pour entretenir un monde magique fait de personnages hors du commun, Boyle se contente de construire son film comme un « grand huit ». Chaque scène prise à part n’est pas dénuée d’intérêt mais leur succession ennuie. L’univers construit ne cesse alors de se déconstruire jusqu’à fonder un tableau confus.
Toutefois, le cinéaste possède toujours cette qualité d’user de son sujet fétiche, l’argent, dans un cadre inhabituel. À l’instar de Petits meurtres entre amis, la question reste la même, le conflit moral est inchangé : que faire de cette somme inattendue ? Anthony et Damian prendront alors conscience de la difficulté d’user de ces liasses de billets. Dans ce sens, l’idée de Boyle de confronter le monde de l’enfance à celui de l’argent, monde des adultes, est intéressante. Le château des rêves ouvre ses portes et les referme aussitôt. Ces deux petits poètes de l’existence se rendront compte de la réalité quotidienne et de ses difficultés : l’argent ne permet pas de refaire le monde. Un geste de bonté est-il encore possible ? Un enfant ne se rend pas compte de cela, son innocence l’empêche encore de connaître la réalité humaine. L’idée est bien entendu louable mais mal traitée.
Soulignons tout de même les prestations de qualité des deux jeunes acteurs. Leur regard interpelle, plus que les plans parfois suresthétisés du réalisateur britannique. Les scènes les plus belles sont les plus simples et décrivent la relation compliquée entre le père et ses deux enfants. Cependant, Boyle continue à croire fermement en ses capacités de cinéaste plastique alors qu’il est sans doute plus doué pour décrire à nous spectateurs le rapport de l’homme à la société mercantiliste. En définitive, le film terminé, un constat s’impose : Danny Boyle s’affiche comme un créateur d’images et non comme un metteur en scène.