Avant le blackout qui fait oublier au reste du monde l’existence des Beatles et lui permet de devenir une star mondiale, Jack Malik (Himesh Patel) est un employé de grande surface parmi d’autres, essuyant les remarques désobligeantes d’un patron qui n’aime ni sa barbe touffue ni son allure flegmatique de musicien raté. Dans cette antre de la consommation, son rôle se cantonne à empiler les cartons et les palettes, à mettre les produits à disposition des clients et à veiller à la bonne tenue de la structure. Si cette dynamique manutentionnaire n’est jamais véritablement travaillée par la mise en scène de Danny Boyle, fondant les étalages et les marchandises dans le flou de ses longues focales, cette fonction s’avère représentative d’un film attaché à remplir du vide. C’est d’abord le vide laissé par les Beatles, oubliés du monde entier et dont il ne reste plus de trace : Jack y voit une opportunité à saisir (si personne ne connaît les Beatles, il peut enfin réussir sa carrière en reprenant leurs hits), avant de comprendre que sa supercherie relève aussi d’un « devoir de mémoire », sa reprise des morceaux du groupe permettant à l’œuvre musicale de persister au sein de ce monde parallèle. Ce vide laissé par les Beatles est ensuite redoublé d’une série de disparitions de fétiches de la culture de consommation, lessivant le high-concept du film (en plus des Beatles : plus de Coca-Cola, de cigarettes ni de Harry Potter) jusqu’à en altérer l’absurdité initiale (il n’y a donc pas que les Beatles qui manquent à l’appel). Si cela ne suffisait pas, Jack Malik doit combler encore d’autres vides : un vide sentimental (il ne perçoit pas l’amour qu’éprouve pour lui sa meilleure amie, Ellie), créatif (comblé par l’accumulation de post-it sur un mur où sont regroupés les titres et les paroles des Beatles), spatial (ce chapiteau déserté et sans audience dans lequel il joue au départ) ou même bucco-dentaire (avant de jouir d’une dentition flambant neuve, Jack perd deux de ses dents lors d’un accident au début du film).
La panne créative de Jack Malik est alors à l’image de ce Yesterday, grande playlist extatique comblant ses appels d’air en accumulant les poncifs, du dilemme amoureux auquel doit faire face le jeune héros avide de succès à la figure, vampirique et castratrice, d’une manageuse aux considérations exclusivement pécuniaires. La comédie est en ce sens évacuée au profit d’un film d’ascension musicale suivant le modèle de A Star is Born, à la différence près que le film de Boyle se contente de ressortir des tubes des cartons de la pop culture et multiplie les morceaux de bravoure scéniques au (certes bon) son de « Yesterday », « Let it be », « All You Need Is Love » ou « Hey Jude ». Dans l’optique de clarifier ce qui était jusqu’alors trop lacunaire, le montage du film, qui prolonge au début les dialogues au-delà des espaces et des plans, s’attelle au fur et à mesure à recentrer et à spatialiser les prises de paroles dans des espaces et des temporalités délimités. Rien d’étonnant à ce que le film se termine suite à la révélation de la supercherie de Jack au public en même temps qu’il se décide à déclarer sa flamme à Ellie. Jack Malik y revient à sa fonction manutentionnaire, remettant de l’ordre dans le chaos qu’il a lui-même apporté. Le récit de sa réussite puis de sa chute consiste en somme à combler le vide qui le caractérisait (connaître le succès, entamer une histoire d’amour, renouer avec ses proches, recentrer la parole) pour mieux en réguler la nouvelle substance, jusqu’à un happy end emmiellé en forme d’idéal retour à l’ordre familial. Entre temps, Jack aura donc rasé sa barbe.