La suite de Trainspotting, plus de vingt ans après le premier, a au moins un mérite : réévaluer l’original, non pas en tant qu’oeuvre cinématographique, mais plutôt comme le témoignage culturel d’une époque, le milieu des années 1990. Boyle signait alors son second film, devenant de facto la figure de proue du renouveau du cinéma anglais populaire, mue entamée deux ans plus tôt avec le triomphe de Quatre mariages et un enterrement et qui se poursuivit une petite dizaine d’années avec les immenses succès de The Full Monty, Les Virtuoses, Coup de foudre à Notting Hill ou encore Billy Elliot, pour n’en citer que quelques-uns. Surtout, le triomphe de Trainspotting marqua à l’époque l’acmé d’une forme d’hystérie brit-pop, allant de la gué-guerre Oasis / Blur au rouleau-compresseur Spice Girls, de l’extraordinaire vitalité de la scène musicale (du rock à l’électro en passant par le trip-hop) et du street art (menée par Banksy), de l’ouverture de la Tate Modern à Londres en 2000 et, surtout, de l’arrivée au pouvoir de Tony Blair en 1997, qui incarnait encore, à l’époque, l’espoir travailliste après deux décennies de Parti Conservateur…
Air vicié
Trash, furieusement dans l’air du temps, roublard et malin, Trainspotting fit de Boyle un réalisateur hype (à défaut d’être bon) et de McGregor une star au charisme indiscutable ; il reste d’ailleurs le seul intérêt du film et de sa suite. À quoi bon, donc, s’intéresser au sort de la bande de junkies écossais, deux décennies après ? Accordons à Danny Boyle le bénéfice du doute, cette suite étant après tout l’adaptation du livre d’Irvine Welsh, Porno, qui reprend les aventures de nos bras cassés et leur imagine un avenir là où, de toute évidence, la fin du premier ne donnait pas cher de leur peau. On retrouve donc Mark Renton (McGregor), sur lequel le temps semble n’avoir pas de prise, de passage à Édimbourg (il vit désormais à Amsterdam) pour enterrer sa mère. Les retrouvailles avec ses anciens acolytes ne sont pas vraiment chaleureuses : le premier Trainspotting s’achevait sur la fuite de Mark avec un sac plein de billets, ne laissant à ses compères que leurs yeux pour pleurer. Et ces derniers n’ont pas oublié : ni Simon (Jonny Lee Miller), qui végète dans un pub et vit de ses petits larcins, ni l’hyper-violent Begbie (Robert Carlyle), qui s’enfuit de prison, toujours aussi psychopathe. Quant à Spud (Ewen Bremner), il n’a jamais vraiment décroché de l’héroïne et souhaite en finir une bonne fois pour toutes avec sa vie de chien. À moins que…
Laideur, mode d’emploi
À moins que Boyle ne le ressuscite pour l’entraîner aux basques de Renton et sa bande, dans un grand tour de la capitale écossaise et ses banlieues sordides, option trip nostalgique ? Si encore, le réalisateur se contentait de jouer la carte du revival (ce qu’il fait allègrement), ce serait un moindre mal. Mais Boyle a vieilli lui aussi, poussant la vulgarité de sa « mise en scène » vers des sommets adoubés par ses pairs (le triomphe de Slumdog Millionaire ne l’a pas aidé à envisager une nouvelle direction artistique). Il n’y a donc presque pas une scène dans T2 Trainspotting qui ne soit passée au filtre des triturations visuelles dont le réalisateur est friand, usant et abusant de ses effets habituels, ne s’interrogeant jamais sur l’utilité ou le sens de chaque plan, optant plutôt pour un grand bazar dans lequel on ne retrouve jamais un semblant de point de vue. La mise en scène selon Boyle consiste, en gros, à retourner la caméra dans tous les sens, à incruster des bidouillages superflus, à opter pour un montage frénétique et incohérent et à appuyer sur le bouton « play » dès qu’il s’agit de caser un morceau de la bande-originale. Plus que jamais, le cinéma de Danny Boyle ressemble à un robinet à clip, un avatar de MTV – une chaîne qu’aujourd’hui, ce n’est pas un hasard, plus personne ne regarde.
Car l’énorme échec de cette suite, justement, est son incapacité totale à se saisir de l’air du temps, comme l’original sut si bien le faire, pour le meilleur et pour le pire. Boyle aurait pu, dans une sorte d’exercice méta qui demande néanmoins un minimum de savoir-faire et de recul, mettre sa « vision » esthétique au service de son intrigue et de ses personnages, plus ou moins devenus encore plus moches, encore plus beaufs et encore plus dégueulasses. Que sont devenus les lads écossais insouciants d’il y a vingt ans, après la crise économique, les désillusions politiques, le repli sur soi et le Brexit ? À quoi ressemble la gueule de bois post-années 1990, à laquelle même le rock (la grande fierté nationale de la Grande-Bretagne, avec le foot) ne semble pas avoir résisté ? Boyle n’a aucun point de vue sur le sujet, rien à dire, rien à montrer, rien à filmer. Les affreux, sales et méchants rejouent ici la partition des arnaques à la petite semaine et des règlements de compte entre meilleurs ennemis, mais que l’on ne s’y trompe pas : tout le monde aura droit à sa petite rédemption, son instant de grâce, son Grand Moment. La gueule de bois est encore plus douloureuse.