Après une apparition remarquée dans Tonnerre sous les tropiques, quelques déliriums scientologiques et frasques sur canapé télévisuelles, Tom Cruise revient avec un rôle plus calibré dans une comédie d’action dont il partage la tête d’affiche avec Cameron Diaz. Ou comment derrière l’opération mercantile assumée se cache un divertissement paresseux au scénario roublard, mais que le couple de stars arrive à sauver partiellement du naufrage.
« Elle l’a rencontré en avion, il va la mener en bateau » annonçait dangereusement l’affiche du film, comme un avant-goût de ce que le spectateur non averti gagnerait à s’embarquer dans cette galère. Passons vite fait sur le récit (bateau) d’espionnage : un trafiquant espagnol et des fédéraux cherchent à récupérer une pile dont l’énergie est inépuisable, et au milieu, Tom Cruise en bon samaritain des services secrets. À ceci près que le samaritain est tout sauf un idéaliste ; il donne du flingue à tour de bras et émet des signes d’hyperactivité proches de la démence. Une vraie pile Duracell. À ses côtés, Cameron Diaz en gentille nénette un peu nunuche embarquée par inadvertance dans l’aventure, et qui tombe logiquement amoureuse de l’agent-tout-risque. À l’annonce d’un pitch aussi resserré, on pense ouvertement à ces comédies d’action des années 1990, dans la droite lignée d’un À la poursuite du diamant vert (avec le duo Michael Douglas/Kathleen Turner), et dont Night and Day se voudrait être le pendant moderne.
Pourtant, rien de très neuf au programme : destinations exotiques (Séville, les Açores, Autriche), quelques vannes entre deux fusillades ou poursuites menées tambour battant, et un couple glamour à l’affiche. La supposée modernité du film se cristallise dans l’étalage du recours aux effets numériques dans les scènes de poursuites : autant de véhicules, explosions et personnages dupliqués à la palette graphique, créant une désagréable impression de facticité. Mangold fait son boulot avec des fortunes diverses, la plupart des scènes d’action étant limitées en termes de mise en scène à la stricte compréhension des déplacements dans l’espace. Un brin d’originalité surgit de temps à autres, comme dans cette séquence psychotrope où une Cameron Diaz défoncée voit se dérouler sous ses yeux (en caméra subjective) les différentes étapes d’une évasion menée à la vitesse de l’éclair par Cruise, et où l’enchainement de ces épisodes se fait tout en ellipses. Pour le reste, séquences de comédie se suivent sans grande inspiration (montage alterné entre une bagarre dans un avion et Cameron Diaz aux toilettes qui ne se doute de rien), et bizarrement, le film devient parfois plus prenant lorsqu’il se fait sérieux et calme (étonnante longueur du dialogue où Diaz raconte sa vie à Cruise).
Le ressort dramatique principal du film joue sur le fait que l’on doute constamment de l’honnêteté des intentions du personnage interprété par Tom Cruise. Est-il fou, paranoïaque, armé de mauvaises intentions ? Le parallèle avec la vie de l’acteur et ses étranges frasques en devient parfois presque troublant. Pourtant, quelles sont les principales caractéristiques du jeu de Tom Cruise ? Chez lui, tout est à prendre à la lettre, dans une espèce d’intention spontanée de vouloir sursignifier le dialogue, en soulignant primairement les enjeux de la scène. Et l’on prend finalement un plaisir mesuré à voir évoluer ce faux électron libre, dont le jeu reste constant et similaire de film en film, oscillant entre le pur premier degré et l’ironie artificiellement distanciée. De ce point de vue, il s’accorde parfaitement avec Cameron Diaz, dont le potentiel comique se développe à travers une large sur-expressivité du visage et du corps. Cameron Diaz droguée au sérum de vérité, cela donne une séquence où sa palette de jeu tourne autour d’une pantomime de la femme saoule, couplée à un stéréotype sexiste communément accepté : une femme ivre ne peut mentir, elle dit tout ce qui lui passe par la tête. L’association de ces deux acteurs, dont la méthode de travail consiste à mettre au premier rang les évidences des enjeux d’une scène, produit ainsi un effet temporairement grisant, une alchimie cheap qui réussit parfois à faire passer la pilule. Le film suit son cours et ne sort jamais de son scénario programmatique, entraîné par le flot d’un couple de stars qui emporte tout sur son passage à force d’enfoncer des portes ouvertes.