© The Walt Disney Company France
Un parfait inconnu

Un parfait inconnu

de James Mangold

  • Un parfait inconnu
  • (A Complete Unknown)
    • États-Unis2024
    • Réalisation : James Mangold
    • Scénario : Jays Cocks, James Mangold
    • d'après : Dylan Goes Electric
    • de : Elijah Wald
    • Image : Phedon Papamichael
    • Décors : François Audouy
    • Costumes : Arianne Phillips
    • Montage : Andrew Buckland, Scott Morris
    • Producteur(s) : Michael Bederman, Fred Berger, Bob Bookman, Timothée Chalamet, Alan Gasmer, Alex Heineman, Peter Jaysen, Brian Kavanaugh-Jones, James Mangold, Andrew Rona, Jeff Rosen
    • Production : Range Media Partners, Veritas Entertainment Group, The Picture Company
    • Interprétation : Timothée Chalamet (Bob Dylan), Edward Norton (Pete Seeger), Elle Fanning (Sylvie Russo), Monica Barbaro (Joan Baez)...
    • Distributeur : The Walt Disney Company France
    • Date de sortie : 29 janvier 2025
    • Durée : 2h20

    Un parfait inconnu

    de James Mangold

    Au pied de la lettre


    Au pied de la lettre

    Dans les premières scènes d’Un parfait inconnu, qui voient le jeune Dylan présenter ses chansons en public, Mangold multiplie à plusieurs reprises des champ-contrechamps entre son personnage et les regards aussi silencieux qu’ébahis des spectateurs. Assez vite, cette stratégie participe à façonner une icône strictement musicale, qui parle moins qu’elle ne chante, comme en témoigne la rencontre avec Joan Baez, à qui Dylan succède sur la scène du N.Y. Center Folk Music en 1961. Alors que cette dernière s’apprête à quitter la salle sans un regard pour lui, il prononce au micro quelques mots destinés d’abord à attirer son attention (« How about that Joan Baez, folks ? »), puis à la retenir (« She sings pretty. Maybe a little too pretty… ») Lorsqu’il commence à jouer et qu’elle se rapproche de la scène pour mieux l’entendre, ensorcelée à son tour par le jeune prodige, les paroles paraissent prendre le relais de cet étrange dialogue à sens unique, comme s’il se présentait à elle : « I was young when I left home / And I been out ramblin’ ‘round ».

    Bien que conventionnelle, cette dynamique au cœur des scènes de concerts produit son lot de moments réussis, d’abord grâce à la performance de Timothée Chalamet, qui reproduit les caractéristiques vocales et l’attitude de Dylan, y compris l’évolution de sa diction au fil des années – jusqu’à son tournant « marmonnant » en 1965. Mangold a conscience qu’une large part de son dispositif repose sur la réussite de cette interprétation, et les longs plans resserrés dans lesquels il filme son personnage trahissent son désir de s’approcher au plus près du musicien légendaire. L’autre intérêt des nombreuses scènes musicales réside dans la manière dont Mangold fait des échanges de regards le vecteur des relations entre les personnages. C’est là un point commun avec Walk the Line, le biopic que le réalisateur consacrait à Johnny Cash il y a vingt ans. Les deux films partagent d’ailleurs un enjeu narratif similaire : le tiraillement d’un artiste entre deux femmes, l’une incarnant une stabilité dans laquelle il se reconnaît de moins en moins (Sylvie Russo, sa petite amie peintre) et l’autre les ambitions artistiques (Joan Baez, déjà très connue lorsqu’il la rencontre). La scène pivot du Newport Folk Festival en 1964 offre un bel exemple de cette triangulation des regards. Elle débute avec la prestation de Joan Baez, filmée en un plan large, avant qu’un travelling avant ne révèle la présence de Dylan observant le concert depuis les coulisses. Lui-même, quelques instants après, est distrait par l’arrivée, derrière lui, de Johnny Cash, avec qui il correspond régulièrement, mais qu’il rencontre alors pour la première fois. Enfin, un plan dans le public montre Sylvie s’installer, ce que le chanteur remarquera peu après dans une vue subjective. Ces simples jeux de regards silencieux révèlent déjà les rapports d’admiration et de pouvoir entre les différents protagonistes. Son concert terminé, Baez rejoint les coulisses à son tour et lorsque Dylan monte sur scène, les rôles s’inversent : tous les regards (de Baez, de Cash et de son mentor Pete Seeger dans les coulisses ; de Sylvie et de sa sœur dans le public) sont focalisés sur lui. Il entonne (pour la première fois) « The Times They Are A‑Changin’ » et immédiatement, le public se lève dans un enthousiasme délirant. Mais si le regard de Joan Baez témoigne d’une admiration pour Dylan, qui est désormais son égal, celui de Sylvie, saisi en contreplongée depuis le public où elle est assise, traduit un désemparement : elle réalise soudainement qu’elle n’est plus rien face à l’immense succès de son petit ami.

    It’s all over now

    En dépit de ces séquences inspirées, Mangold pèche toutefois par gourmandise et accumule des vignettes anecdotiques qui finissent par donner au récit des allures de chasse au trésor destinée aux fans du chanteur. S’il ne montre rien du processus créatif de Dylan, il dévoile en revanche avec soin l’origine de détails des chansons les plus connues, comme le sifflet utilisé au début de « Highway 61 Revisited » ou la ligne d’orgue de « Like a Rolling Stone ». Ces clins d’œil renforcent le piège hagiographique auquel n’échappe pas le film : à force de donner le sentiment que tout glisse sur son personnage, Mangold ne raconte pas grand-chose de son génie et de ses tourments. De fait, la fascination flottante instaurée dans les premiers temps du récit se délite petit à petit à cause d’une fonctionnalisation relativement stérile. Là où Walk the Line s’articulait autour de la double relation tumultueuse de Cash, la deuxième partie d’Un Parfait inconnu s’achemine vers un virage dans la carrière de Dylan : son passage à l’électrique, emblématisé par son célèbre concert au Newport Folk Festival 1965, où il s’est attiré les huées du public.

    Mais comment faire de cette bascule esthétique un enjeu dramatique, alors même que Mangold ne dit jamais rien de la musique en elle-même ? Le réalisateur procède pour ce faire à une torsion historique en mettant en scène, la veille du concert fatidique, un duo entre Dylan et Baez, qui se sont quittés en mauvais termes plus tôt et se chantent l’un l’autre « I’m not the one you want, babe / I’m not the one you need »[1]S’il n’est pas question de discuter ici du degré de fidélité aux événements historiques, notons toutefois cette entorse : ce duo a bien eu lieu, mais à l’édition précédente du festival, en 1964 – et à voir des vidéos du véritable concert, l’ambiance entre les deux musiciens n’était pas aussi tendue que le film le montre.. Cette façon d’envisager les paroles comme un prolongement direct du récit confère ici néanmoins un autre sens au texte : c’est aussi (et surtout) au public de la folk traditionnelle qu’il dit « It ain’t me you’re looking for ». La peinture du festival qui en résulte s’avère dès lors tristement manichéenne : les organisateurs sont dépeints comme des figures antagonistes et conservatrices refusant le nouveau son « de merde » de Dylan et son groupe, propulsés ambassadeurs d’une modernité aux contours flous. Mangold manque ainsi la portée émotionnelle de l’ultime chanson de la performance mythique, « It’s All Over Now, Baby Blue », interprétée en acoustique. « You must leave, now take what you need / You think will last / But whatever you wish to keep / You better grab it fast » chante-t-il ; mais faute d’avoir donné plus de perspectives à ses contradictions pourtant passionnantes, les paroles ne revêtent qu’une plate littéralité ne dépassant pas l’horizon discursif – un comble pour la biographie de l’un des artistes les plus influents de l’histoire de la musique.

    Notes

    Notes
    1S’il n’est pas question de discuter ici du degré de fidélité aux événements historiques, notons toutefois cette entorse : ce duo a bien eu lieu, mais à l’édition précédente du festival, en 1964 – et à voir des vidéos du véritable concert, l’ambiance entre les deux musiciens n’était pas aussi tendue que le film le montre.

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