Troisième et ultime épisode en solo pour Wolverine, dont le titre, déjà, renvoie à l’identité même de son protagoniste principal, démarche particulièrement individualiste pour un super-héros dont l’existence dépendait, à l’origine, d’un groupe : les X‑Men. Primer ainsi le personnel sur le collectif est évidemment une mécanique nécessaire dans le star-system hollywoodien, et la pérennité des aventures de Wolverine doit aussi beaucoup à son interprète, devenu superstar dès le premier épisode réalisé par Bryan Singer. Logan est d’ailleurs diamétralement opposé au premier opus de la saga, tant ce dernier n’hésitait pas à éclater son récit pour développer le portrait de ses personnages, dans l’esprit du comic et de la démarche de Stan Lee, son créateur (d’ailleurs, Wolverine ne fait pas partie de l’équipe X‑Men des premiers temps).
C’est que Stan Lee a pris d’emblée ses distances avec les grandes figures héroïques de DC (Superman et Batman), en ne racontant pas forcément les histoires d’hommes en proie à leurs démons ou à leurs obligations, mais celles d’adolescents confrontés aux transformations (surnaturelles) de leur corps. Wolverine, malgré son âge adulte, en était assurément le personnage cristallin, condamné à une recomposition permanente (régénération de ses cellules). Un prétexte parfait pour une métaphore sur le cinéma, puisqu’en sa qualité de personnage de fiction cinématographique (et de héros d’une saga), Wolverine allégorise effectivement le pouvoir embaumeur du cinéma, c’est-à-dire sa capacité à figer des figures dans le temps. Or la figure du super-héros a été fortement dépendante de celle de son interprète Hugh Jackman, et la saga doit à présent se plier aux règles du temps, en mettant un terme à cette mutation perpétuelle.
Poor lonesome cowboy
Afin de mettre en scène l’aboutissement de cette maturation, Mangold et ses scénaristes ont voulu retourner à l’essence du personnage, dans l’épure d’un décor qui évoque à la fois ses origines mythologiques, et un potentiel aboutissement : la forêt — lieu d’évolution récurrent du personnage (X‑Men : l’affrontement final, X‑Men Origins : Wolverine) — et le désert, décor philosophique par excellence, un « espace sans lieu […] et un temps sans passé » écrivait Maurice Blanchot. Décor effectivement idéal pour rappeler que Wolverine est, depuis son amnésie, un homme sans passé. Il n’était, au début (dans le comic et la première trilogie X‑Men) qu’une sorte de loup déchaîné, condamné à avancer à l’aveugle, sans l’éclairage de ses souvenirs (ou du moins, sans une vision globale, ses souvenirs étant morcelés). Logan épouse cette logique et s’en retourne au sable et à la poussière, tout en s’enfonçant dans une extrême violence, essorant jusqu’à la moelle la substance du personnage pour en tirer sa représentation la plus sommaire : une bête furieuse qui ne retient pas ses coups.
Un décor également évocateur d’une autre source d’inspiration du personnage, le western, confirmant les similitudes entre Wolverine et la figure du cowboy (rien que par le jeu et le visage de Jackman qui rappellent Eastwood). Car en plus d’être un chien fou errant, le Wolverine tel que décliné au cinéma est aussi un héritier du « genre américain par excellence », héros solitaire dont l’existence est caractérisée par une vie nomade, sans passé ni attache, avançant en marge du progrès et de la modernité (Wolverine traverse les époques sans parvenir à s’intégrer à un quelconque groupe social). Et Logan cite explicitement Shane, l’homme des vallées perdues, célèbre western de George Stevens (le film passe à la télévision lors d’une séquence), pour appuyer définitivement cette filiation. En son temps, Stevens n’hésita pas à remettre en cause la banalisation de la violence du western classique, en réalisant un film brutal, où la mort n’est plus aseptisée (Shane fut d’ailleurs une source d’inspiration majeure lors du renouvellement du genre opéré par Sergio Leone). C’est le même déni de sadisme de certains films de super-héros actuels que Logan cherche à remettre en cause par ses scènes d’actions franchement gores. Wolverine après tout, de par sa bestialité et ses griffes, est voué au massacre furieux, tueries pourtant rendues ordinaires dans les différentes adaptations cinématographiques.
A la recherche du super-héros perdu
Pourtant, toute cette base contextuelle est gâchée par un récit finalement assez pauvre, dont la structure épouse même quelques similarités avec le premier opus, Origins (Wolverine s’échappe et trouve refuge chez une famille de paysans avant d’être rattrapé). Ce récit est surtout prétexte à amorcer un potentiel relais — non pas forcément une succession, avec de nouveaux héros et une nouvelle série de films — mais un relais référentiel : rappeler aux admirateurs intra et extra-diégétiques (c’est-à-dire les spectateurs autant que les autres personnages de Logan) que Wolverine est une icône populaire incontournable. Sa narration droite et entièrement focalisée sur l’avancée de son personnage provoque un sentiment d’accumulation monotone et répétitif ; pas d’errements dans le désert, mais au contraire une traversée de décors similaires sur un rythme finalement assez lent et parfois relâché. Cette structure rectiligne semble aspirée par un but unique : la réhabilitation de Wolverine au rang d’icône éternelle. Le procédé ressemble d’ailleurs presque à une dissertation : solitude et déchéance (petit a) ; mais toujours l’âme d’un héros en aidant la jeune orpheline (petit b) ; donc mélange de faiblesse humaine et de puissance surhumaine = Wolverine (conclusion). Or, dans cette organisation qui ressemble presque à une équation, le film ne semble pas générer suffisamment de place pour un contrechamp, c’est-à-dire une adversité conséquente.
Il manque bien cette chose au film, un opposant à la hauteur d’un combat final. Aucun affrontement ne repousse véritablement le personnage dans ses retranchements. Au contraire, le scénario trouve un McGuffin prêt à l’emploi — un sérum qui décuple le pouvoir des mutants — pour ainsi permettre à Logan, lors du combat final, de retrouver une dernière fois son panache de jeunesse. « Meilleur est le méchant, meilleur est le film » disait Hitchcock, or Logan cherche effectivement à confronter le personnage au seul fléau qui peut l’atteindre : lui-même. Pris dans une spirale d’autodestruction, le personnage est surtout vu dans une souffrance intime et intérieure, réduisant ainsi les méchants à des pions de convenances, ou à des prétextes tirés par les cheveux.
Figurine plastifiée
Logan est donc bien plus occupé à démontrer que Wolverine est une icône, sans véritablement convaincre. Une argumentation qui s’appuie beaucoup sur les mutants orphelins (et non par les scènes de combat) que le personnage rencontre et sauve durant son road-trip, spectateurs admiratifs bercés par une représentation nostalgique qu’ils se font de Wolverine — d’où leur choc lors de la rencontre, en découvrant ce qu’est devenu leur héros, un vieux barbu grisonnant. Grâce à ces enfants, le film déploie ses objets de culte : figurine Wolverine, bandes dessinées, croix transformées en X. Logan devient alors littéralement un jouet aux mains de gamins : lors de son sommeil, les bambins, armés de ciseaux, coupent sa barbe et ses cheveux pour lui redonner le look canidé qui le caractérise, contribuant à perpétuer le souvenir de sa représentation iconique.
Ainsi rhabillé, le personnage est fin prêt pour le climax final, ahurissant dans l’étrange surdose d’adrénaline qu’il dégage : avec son aspect d’antan et son sérum de jouvence, Logan redevient pleinement le Wolverine bondissant que l’on connaît. L’espace de quelques minutes, il caresse à nouveau sa jeunesse perdue et défie les lois de la pesanteur. Durant tout le film, Logan était surtout un humain boitillant affublé de pouvoirs, et cette séquence vient réhabiliter son statut de super-héros. La première bande-annonce de Logan faisait croire à une exploration du rapport intime qu’entretient le personnage avec sa mutation, alors qu’au contraire, cette prétendue introspection n’est que prétexte à une ultime relance de la machine. Une relance sans nouvelle exploration des pouvoirs de Wolverine, et sans situations véritablement épiques ; simplement le déploiement d’un appareillage nostalgique et iconique. Sans celui-ci, il ne reste plus qu’un divertissement finalement très entendu.