Un loup solitaire peut-il s’en sortir sans une meute ? Cette étrange question peut se poser à la vue du destin du personnage de comics Logan dit Wolverine au cinéma. Centré autour du plus individualiste de la bande des « X‑Men » (humains rendus surhumains, mais aussi parias, par des mutations génétiques), Wolverine : le combat de l’immortel est, après X‑Men Origins : Wolverine, le deuxième long métrage à le balader tout seul sans ses camarades mutants (ou en les maintenant à distance). Et les deux films incitent, hélas, à dresser un certain constat d’échec.
Un peu de sociologie de comptoir ne fera pas de mal. Les comics Marvel, ce n’est pas un secret, ont façonné les X‑Men comme une métaphore des minorités ethniques que la ségrégation a amenées à se rassembler pour survivre et tenir tête à la majorité (avec les divergences de vue que l’on devine sur la méthode). D’ailleurs, les films qui ont été consacrés à cette communauté, en particulier le remarquable prequel X‑Men : le commencement, travaillent à l’envi sur cet aspect. Le cas de Wolverine, l’homme aux rouflaquettes et aux griffes rétractiles, est intéressant dans ce contexte : mieux pourvu que la moyenne de ses semblables pour sa survie personnelle (il est potentiellement immortel), il peine à se fondre dans le groupe par son manque de foi en toute société, sa propension à compter avant tout sur ses propres forces et ses accès de brutalité dévastatrice. Cette personnalité et ces pouvoirs composent un personnage fascinant et finalement populaire, sorte de loup-garou cool tout en restant bien faillible et éprouvé par la vie, l’immortalité et la solitude n’étant pas vraiment des cadeaux à la longue. Assez fascinant et populaire pour pouvoir endosser un récit sur ses seules épaules ? Sans doute, mais la tâche ne va pas de soi, et on le constate devant la faiblesse (pour rester poli) des tentatives de cinéma à ce jour pour en faire le personnage dominant d’un film de super-héros, sans personne de taille à partager la vedette.
Sans légende
X‑Men Origins : Wolverine relatait laborieusement la vie du personnage avant sa rencontre avec la communauté mutante. Wolverine : le combat de l’immortel, lui, fait suite aux événements relatés dans X‑Men : l’affrontement final où cette communauté a été bien meurtrie. Le héros, sorti de sa retraite au fond des bois (non sans se livrer au remake d’une scène du premier film X‑Men dans un bar infesté de rednecks), part au Japon pour rendre hommage à une vague connaissance du passé. Le rendez-vous se révèle un piège qui ébranlera les assises du personnage (le détail principal est déjà éventé : il sera privé de son invulnérabilité) et l’incitera à trouver de nouvelles ressources intérieures et extérieures pour se tirer de ce mauvais pas, se rendant à la fois plus humain et plus proche de l’animal blessé — et d’autant plus dangereux. Tristesse : pourquoi les détails de ces réminiscences d’un passé lointain (cela remonte jusqu’en 1945), de cette chute, de cette lutte au forceps pour la rédemption, de ce rapprochement de l’homme et de la bête nous intéressent-ils si peu, comme la biographie filmée du XIXe siècle à nos jours nous passait au-dessus de la tête ? Dans ce film comme dans l’autre, la faute en incombe à de trop évidents aléas d’une production paresseuse, inapte à articuler le récit autrement que comme l’exécution sommaire d’un programme à coups de raccourcis scénaristiques parfois honteux (ici enfilés comme des perles), de personnages en carton rivalisant d’absence de charisme, et de scènes d’actions passables conçues de toute évidence pour sauver les meubles (sur ce point au moins, James Mangold s’avère un peu moins manchot que Gavin Hood).
Dans ce Combat de l’immortel en particulier, on a l’impression d’un remplissage forcené, un assemblage exécuté dans le désespoir de faire tenir — et faire prendre toute la place à — un scénario expliquant à tout prix les caractéristiques de Wolverine, telles que la comparaison qui en est faite avec un « samouraï sans maître » (rônin). Sur ce dernier point, le film étale à loisir une intrigue prétendument ancrée dans le contemporain japonais, mais compilant tous les clichés sur cette société, avec embrouilles politico-familialo-mafieuses impliquant yakuzas, samouraïs et ninjas tant qu’on y est, tous très à cheval sur le sens de l’honneur évidemment. À une fiction aussi débordante, on voudrait pouvoir adhérer, sortir des considérations de réalisme, mais la marche forcée du film (comme s’il imitait Wolverine courant après ses ennemis) nous laisse à distance, tant il semble pressé de passer d’une énormité à l’autre avec le plus grand sérieux ; et le fait que tous les acteurs japonais — soit la quasi-totalité du cast — sont dirigés avec les pieds aide encore moins. Quant au fantastique inhérent à une humanité alternative peuplée de mutants, il est criblé de tant de facilités et d’incohérences qu’il ne saurait non plus être convaincant (confusion totale sur les origines des caractéristiques surnaturelles de Wolverine, notamment de son invulnérabilité d’une part et de sa longévité d’autre part).
Un seul être vous manque…
Il apparaît que si le personnage de Wolverine fonctionne si bien dans les autres films « X‑Men » (même dans son savoureux caméo de X‑Men : le commencement où il ne prend aucune part à l’intrigue), la présence de la communauté mutante n’y est pas étrangère. La diversité des personnages ralliés sous deux bannières rivales, la pacifiste brandie par le Pr X et la belliciste agitée par Magneto, offre un parfait contrepoint à ce loup solitaire (même si celui-ci penche plutôt pour le premier camp) ; la mise en vis-à-vis de la masse et de l’électron libre, chacun affirmant l’autre autant que soi-même, nourrit presque sans effort un propos sur le groupe, sur la place de l’individu, sur l’acceptation de soi et de l’autre. Mais d’où vient que, privé de ce contrepoint, écarté de ce casting d’ensemble, Wolverine ait tant de mal à maintenir sa consistance ? Manque d’inspiration des scénaristes pour combler le vide ? Jeu limité de Hugh Jackman dans le registre du héros bad-ass, qu’il interprète depuis le premier X‑Men comme une vague émanation de « l’Homme sans nom » campé par Clint Eastwood pour Sergio Leone ? Sans doute les deux.
On peut cependant soupçonner les maîtres d’œuvre de ce film-ci d’avoir eu conscience de ces handicaps. Ils ont trouvé le moyen d’y caser deux mutants sans plus de charisme que le reste, détachés de cette thématique de la communauté, à des places de l’intrigue qui auraient aussi bien convenu à des humains « normaux », pensés simplement, semble-t-il, pour mettre le super-héros face à un super-méchant et remplir un quota de X‑Men. Et en bonus, pour bien illustrer les blessures intérieures du protagoniste, on se rabat sur le cliché de l’être aimé défunt qui lui fait la morale dans sa tête — Jean Grey, qu’il a été contraint de tuer dans X‑Men : l’affrontement final (Famke Janssen devait avoir des impôts à payer, pour se faire rappeler pour une contribution si insignifiante). Tout le film est à l’image de cet opportunisme qui serait tolérable s’il n’était concrétisé dans un tel bâclage : un blockbuster sans souffle pensé sur une idée isolée (un personnage ultra cool), mais où les aléas de production ont réduit le reste à une telle coquille vide que les griffes du héros ne peuvent qu’y brasser de l’air.