En marge des marches pour la liberté et la citoyenneté qui se sont déroulées à Alger en 2011, le cinéaste Merzak Allouache mélange fiction et approche documentaire pour interroger le devenir de la nouvelle génération. Verbeux et bien trop timide sur le plan politique, Normal ! s’enlise rapidement dans les limites de son dispositif au point de devenir contreproductif.
En amont de Normal ! existait un autre projet de Merzak Allouache, une fiction intitulée Welcome Africa !, avortée pour des raisons à la fois politiques et financières (la seconde allant rarement sans la première). C’est dans cette expérience personnelle que le réalisateur a puisé la trame de ce qui allait être l’objet fini : l’histoire d’un réalisateur algérien qui, deux ans après avoir tourné ses premiers rushs jugés insatisfaisants, convoque à nouveau ses acteurs pour les sonder sur la direction à donner au projet final. Prétexte à mélanger l’intime au politique, à confronter des points de vue générationnels sur la liberté d’expression et de création (le film dans le film aborde la question d’une pièce de théâtre censurée par les autorités compétentes), Normal ! est censé donner la température algérienne en matière de revendications politiques. Pour cela, le film joue la carte de la porosité entre fiction (un scénario et des dialogues écrits) et approche plus documentaire (Alger filmé – trop rarement – à la volée, la possibilité pour les acteurs d’improviser l’interprétation de leur texte).
Difficile de ne pas louer l’intention initiale de Merzak Allouache même si, à travers cette mise en abyme parfois un peu grossière, la prétention n’est pas moins de jouer les porte-parole d’une génération opprimée dans son désir d’émancipation. On sent également que le réalisateur s’est accommodé des faibles moyens dont il disposait et du jeu approximatif de certains de ses acteurs, visiblement pas toujours à l’aise avec le rôle qu’on leur fait jouer. Au départ, tout cela aurait presque tendance à jouer en faveur du film : troublant lorsqu’il s’agit de faire exister le projet fictionnel initial, plus figé lorsque l’approche documentaire est censée primer, Normal ! a le mérite de brouiller un peu les pistes et d’intriguer là où on ne l’attend pas forcément. Dans la première partie, le projet joue assez habilement de la question du hors-champ – les manifestations, la révolte populaire – pour mieux confronter le théorique (écrire un scénario, penser un long-métrage) à la réalité du pays. Seulement, ce qui constitue le nerf central du projet, la limite du film dans le film, devient rapidement son point de non-retour et le fait s’écrouler comme un château de cartes.
Point de bascule de Normal !, la scène où tous les comédiens, la scénariste et le réalisateur se retrouvent pour discuter des rushs qu’ils viennent de visionner révèle au moins la faiblesse du propos, sinon le manque de courage du projet initial. En tentant d’injecter de l’authenticité dans les dialogues et la direction d’acteurs (qui s’en réfèrent pourtant à des lignes bien écrites), Merzak Allouache donne surtout le sentiment qu’il singe une réalité qu’il n’a jamais véritablement le courage d’affronter. Quand on repense au tour de force d’un Tahrir, place de la libération de Stefano Savona, on se demande bien pourquoi le réalisateur est resté cloîtré la majeure partie du temps dans cet appartement, ne s’intéressant qu’à une poignée de jeunes qu’il voudrait représentatifs d’une génération opprimée. En pointant de manière évasive les dysfonctionnements d’une société tout en se gardant de désigner les responsabilités politiques (on parle d’une censure étatique mais jamais des auteurs de ce musèlement), le réalisateur donne surtout l’impression qu’il est un porte-parole au ventre mou qui interpellera davantage les Occidentaux. Merzak Allouache reste retranché derrière des idéaux qui, à vouloir rassembler tout le monde, semblent dépourvus de toute rage.