Après Normal !, sorti en France le 21 mars dernier, nous étions bien curieux de découvrir le nouveau film de Merzak Allouache qui, après avoir déçu par l’excès de conformisme de Harragas (2010), semblait être en phase d’expérimentation réjouissante. Le Repenti (tourné dans l’urgence et avec un petit budget – sans argent algérien) a en partie répondu à cette attente.
L’histoire est celle de Rachid (Nabil Asli, qui jouait déjà dans Normal ! et offre ici une partition impeccable), islamiste qui, suite à la loi de réconciliation nationale promulguée en 1999 après les dix ans de guerre civile, décide de quitter la montagne et de rendre son arme, de devenir un « repenti ». Comment peut-on se reconstruire après avoir été terroriste ? Lynché dans son village natal, Rachid fait l’expérience de la tentative de retour à la vie « normale », à la ville, où il trouve un emploi dans un café. Un retour impossible, son récent passé semblant l’avoir marqué irrémédiablement. L’histoire est aussi celle de Lakhdar (le cinéaste et acteur Khaled Benaïssa au jeu tout en retenue et qui s’impose dans chaque plan), un pharmacien vivant dans une grande solitude et un grand désespoir. Et celle de Djamila (Adila Bendimerad, également dans Normal !), son ex-femme qui a quitté la ville et à qui il demande de revenir pour quelques jours. Car Rachid a dit à Lakhdar quelque chose d’immense, d’extrêmement douloureux, qui implique aussi Djamila.
Nous n’apprenons que vers la fin du film de quoi il s’agit (la fillette du couple a été enlevée et tuée cinq ans plus tôt par des terroristes, et Rachid lui propose, en échange d’argent, de l’emmener voir sa tombe). Merzak Allouache instaure un mystère systématique : en coupant les scènes au moment où l’information pourrait être donnée, en épurant les dialogues de tout contenu trop informatif, il maintient le spectateur en état d’alerte. Que se passe t‑il pour Lakhdar et Djamila ? Que s’est-il passé ? Que recherche Rachid en reprenant contact avec Lakhdar ? (À se faire pardonner ? À obtenir l’argent nécessaire pour fuir un pays où il est devenu indésirable ?)
Ce que le cinéaste met au centre de son film, ce sont ses trois personnages, que nous percevons alternativement (Rachid / Lakhdar puis Rachid / Lakhdar et Djamila) et qui ne se rejoindront qu’à la fin. Ce sont l’expression des visages (souvent filmés en gros plans), les actes simples du quotidien (rentrer chez soi, manger, regarder la télévision, fumer, boire, être au travail), la façon qu’ont les corps de se mouvoir et de gérer leur proximité et distance avec le corps de l’autre (Lakhdar et Djamila), les silences, très prégnants. Le vide, en somme. Et le Temps qui passe. Le film respire, le spectateur y trouve sa place car il a le temps et l’espace pour investir les êtres, les scènes, les plans. Le parti pris de mise en scène est clair, et il est assumé. On salue cette épure, sa cohérence, son audace. Pas de message ici, c’est presque rétrospectivement, une fois la projection passée, que l’on assimile vraiment ce que le film raconte. La loi de réconciliation nationale ne résout rien des douleurs des victimes (impossibilité du deuil et du pardon) et des terroristes (impossibilité du retour à la vie citoyenne). En cela, Le Repenti manifeste une finesse indéniable. Il parle d’Histoire en parlant avant tout de cinéma.
Pourtant, son dispositif finit par atteindre sa limite. Les points de suspension systématiques, les questions sans réponse, les silences persistants, l’interminable suspense, tendent, sur la durée, à paraître un peu vains. Au moment de la révélation, on en vient à se dire « tout ça pour ça ». Surtout, à mesure que le film avance, nous avons l’impression que le dispositif en lui-même cède la place au geste du cinéaste se regardant en train de le mettre en place. Subtil pendant ses deux tiers, le film pèche aussi par excès de pathos dans la dernière partie. Djamila exprime trop, dans son visage et dans ses mots, la douleur qui la ronge. La scène dans la voiture, lorsque Rachid conduit le couple vers le cimetière, est attendue (la colère qui explose enfin), trop lourde (cris, larmes, coups, reproches), trop longue. Et l’aboutissement au cimetière fait éclater un désespoir que l’on avait aimé sentir ténu, bien enfoui, auparavant. Pourquoi expliciter ce que nous avions su ressentir, deviner ? Merzak Allouache n’avait-il pas confiance en nous ?