Merzak Allouache n’est pas le premier cinéaste, et ne sera sans doute pas le dernier, à se pencher sur le sort des clandestins, à rendre hommage à ces hommes et femmes qui parfois perdent leur vie durant leur périple vers une vie meilleure, et à vouloir inspirer au public occidental une saine indignation. Une entreprise louable, mais le film est-il vraiment à la hauteur de l’enjeu ?
En Algérie, les émigrés qui fuient clandestinement vers le Nord sont appelés « brûleurs » (harragas). À Mostaganem, le passeur Hassan « Mal de Mer » organise le départ de dix d’entre eux, dont trois amis d’enfance. Mais avant de pouvoir embarquer sur le frêle esquif qui les mènera vers les côtes espagnoles, ils devront d’abord réunir une somme conséquente, puis attendre le moment propice. Lorsque l’un des trois amis se suicide, sa sœur décide de prendre sa place, au grand dam des deux autres qui vont tout faire pour l’en dissuader. Pendant ce temps, un individu louche semble s’intéresser à l’expédition, et la tension monte entre Hassan et les autres harragas, impatients et soupçonneux.
Dans la plupart de ses films, Merzak Allouache décrit, sur le mode de la comédie sociale, les rapports entre l’Algérie où il est né et la France où il vit désormais : Bab-El-Web (2005), Chouchou (2003), et l’attachant Salut, cousin ! (1996). De temps en temps, à la faveur d’un documentaire ou d’un film plus sombre (L’Autre Monde, 2001), il revient ausculter son pays d’origine – et n’en ramène hélas jamais de très bonnes nouvelles. Harragas s’inscrit dans cette veine, ainsi que dans le genre désormais fécond du « film de clandestins ».
Sans doute pour se démarquer de ses prédécesseurs qui entremêlent eux aussi le mélodrame et le road movie sur fond de désespoir économique et de mesquinerie géopolitique, Allouache relève son récit à l’aide d’un nouvel ingrédient : le thriller. Après une première partie au ton documentaire, le film bascule quand un malfrat en fuite, un ex-policier armé et sans scrupules, s’introduit de force dans le groupe de clandestins. L’odyssée se mue alors en huis clos embarqué façon Lifeboat. Dire que la greffe prend tout à fait serait un peu exagéré, le film pâtissant d’une interprétation inégale, et d’un certain manque d’ampleur dans la mise en scène – qu’on peut cependant imputer à un budget modeste et à des conditions de tournage vraisemblablement difficiles.
Il y a d’autres maladresses dans Harragas, comme cette voix off qui cherche à forcer l’empathie mais qui, en balisant le récit, mâche le travail du spectateur. Mais la principale limite du film tient surtout à sa décontextualisation, revendiquée par le réalisateur dans le dossier de presse (« Harragas n’est pas un film centré sur la motivation, mais sur l’acte lui-même »). En refusant d’évoquer frontalement le contexte de l’Algérie contemporaine, et de pointer du doigt la culpabilité de l’Europe et de sa politique sécuritaire, le film devient paradoxalement très théorique : la difficulté de la vie au bled est plus assénée par les dialogues et la voix off que mise en scène, et il est difficile de vraiment s’attacher à des personnages stéréotypés et sans grande épaisseur, car sans histoire.
Ces défauts ne sont heureusement pas rédhibitoires, et le film, très digne, se suit sans déplaisir. Certes, il a le tort d’arriver après beaucoup d’autres œuvres parfois plus cohérentes et plus fortes (on peut citer bien sûr Welcome, mais aussi le trop peu vu Nulle part, terre promise). Cependant, l’époque dans laquelle nous vivons exhale des relents tellement nauséabonds qu’une œuvre qui prend le parti des plus faibles, de ceux qui ne collent pas au fantasme de « l’identité nationale », mérite forcément estime et considération, quand bien même son discours serait moins politique que compassionnel.