S’il n’avait pas été l’adaptation d’un roman graphique signé Posy Simmonds, on se demande bien quel manque d’inspiration aurait pu pousser Anne Fontaine et son coscénariste Pascal Bonitzer à se fourvoyer dans un vaudeville aussi paresseux et pétri de médiocrité satisfaite. Lorgnant du côté du nettement plus réussi La Discrète de Christian Vincent, Gemma Bovery se repose à la fois sur l’abattage (mesuré, cette fois-ci) de Fabrice Luchini et sur la mise en perspective de la littérature et des fantasmes qu’elle charrie face à l’épreuve du réel. Soit Martin Joubert, ancien lecteur pour une maison d’édition parisienne, venu s’installer en tant que boulanger dans un petit village de l’arrière-pays normand pour tenter de trouver « la tranquillité ». Soumis à une existence ronronnante aux côtés d’une femme très pragmatique et d’un adolescent de fils, il voit cette douce torpeur littéralement exploser le jour où il rencontre le nouveau couple de voisins. Lui s’appelle Charles Bovery (cela ne s’invente pas), elle dissimule sous sa séduisante fraîcheur un spleen qui intrigue immédiatement notre boulanger. Il ne lui en faudra pas davantage pour se rendre à l’évidence : la jeune femme ne peut être que l’incarnation de la célèbre héroïne du roman éponyme de Gustave Flaubert. L’homme va donc espionner puis traquer sa nouvelle victime pour modeler son existence selon ses propres fantasmes de créateur frustré.
Les hommes et la poupée
Ce bien maigre canevas aurait pu néanmoins donner à Anne Fontaine l’occasion d’assumer pleinement le fétichisme excessif dont la jeune femme fait l’objet auprès de tous les hommes qu’elle croise pour en tirer une vraie substance cinématographique. Au lieu de cela, la réalisatrice semble répéter les travers d’un de ses précédents méfaits – Mon pire cauchemar – qui, sous ses allures de comédie poussive, donnait surtout l’impression de puiser son inspiration du côté de la pornographie franchouillarde des années 1970-1980 matinée de rapports de classes. Ici, l’excitation constante que provoque Gemma Bovary dans la plupart des scènes auprès de son entourage masculin se solde par un recroquevillement des enjeux où le dérisoire et le pathétique sont constamment érigés comme points de résolution. Contrairement à ce que le titre aurait pu laisser entendre (et surtout sa référence peu flatteuse à l’égard de Madame Bovary), le personnage féminin n’intéresse pas vraiment la réalisatrice. Les intentions de Gemma Bovery sont toujours perçues comme opaques, voire extrêmement triviales dès que lumière se fait. Elle n’est qu’un accessoire autour duquel se cristallise un désir de possession assez misogyne. On aurait été tenté d’y voir la trace d’une certaine ironie si, en contrepoint, Anne Fontaine n’avait pas réservé aux autres rôles féminins des partitions tout aussi grossières (la palme revenant à Elsa Zylberstein dans son rôle de bourgeoise snob-hystéro-sympa).
Capillotracté
Alors que le film prétend pourtant jouer des enjeux que pose un tel frottement entre le réel et le fantasme, force est de reconnaître que la grammaire cinématographique employée par Anne Fontaine est globalement très pauvre. Limitée à l’emploi de champs/contrechamps pour symboliser la fracture qui s’opère entre les projections du boulanger et le déroulement réel des événements, la réalisatrice oublie littéralement de construire son hors-champ. Tout ce qui aurait pu être soumis à l’interprétation est lourdement explicité à coups de flashbacks expéditifs dont l’objectif est uniquement de répondre à la question posée. Alors que l’absurde conclusion aurait pu jeter un voile mélancolique sur cette mauvaise farce, l’application stérile avec laquelle Anne Fontaine cherche à donner du sens aux événements cloue le film au sol. Probable prétexte à offrir à Luchini un énième rôle d’halluciné amoureux du bon mot – ce qui ravira très certainement les aficionados –, Gemma Bovery aurait dû assumer et exploiter jusqu’au bout son statut de film mineur (c’est par exemple ce qu’avait réussi à faire Stephen Frears en adaptant un précédent roman de Posy Simmonds, Tamara Drewe, avec la même actrice dans le rôle-titre) pour qu’existent de véritables moments de grâce futile.