Curieuse filmographie que celle d’Anne Fontaine, réalisatrice parfois inspirée (Nettoyage à sec, Comment j’ai tué mon père, Coco avant Chanel), quelquefois égarée dans des productions ambitieuses mais inégales (Entre ses mains, La Fille de Monaco), voire carrément inutiles (Nathalie…, Mon pire cauchemar). La voir s’essayer à une production anglophone avec des vedettes internationales sent la commande opportuniste à plein nez. Triomphe de la cinéaste qui sait déjouer les attentes, bonnes ou mauvaises : Perfect Mothers fait la nique aux préjugés cinéphiliques et aux craintes – légitimes – de voir un sujet aussi tabou se vautrer dans le mélo larmoyant ou le sensationnalisme vulgaire.
Mommies Dearest
De quoi s’agit-il ? Les « mères parfaites » du titre (sèchement baptisées « Les Grand-Mères » dans le court roman de Doris Lessing duquel le film s’inspire) sont deux femmes splendides, que l’on devine tout juste quadragénaires, amies depuis l’enfance, voisines dans une baie paradisiaque, quelque part en Australie. L’une, Lil (Naomi Watts, parfaite, comme toujours) a perdu son mari assez tôt ; l’autre, Roz (Robin Wright, d’autant plus sublime qu’elle est hélas si rare), ne semble même pas sourciller quand son époux part pour un nouveau job à Sydney. Unies depuis toujours par un lien indéfectible, les deux femmes trouvent leur équilibre dans leurs maisons face à la mer, chacune avec son fils, dans une symétrie quasi parfaite qui, dès le début du film, ne semble souffrir aucun élément étranger.
Les deux adorables petits garçons aperçus dans les premières minutes du film deviennent, très vite, de belles et viriles gravures de mode qui passent le plus clair de leur temps à surfer devant les mines ébahies de leurs mères respectives (« C’est nous qui avons fait ça ?», s’extasie Lil en regardant les corps musclés des deux post-ados se rouler dans les vagues). La réalisatrice filme ses actrices sans aucune vanité et les deux le lui rendent bien : quelques rides ici ou là, un cou qui se détend, une chair qui mollit un peu, et la beauté irradiante de deux femmes arrivées à la moitié de leur vie. Un soir, Roz, un peu pompette, se laisse entraîner dans la chambre du fils de son amie. Son propre fils, par vengeance, court séduire la veuve Lil. En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, ce qui n’était qu’un moment d’égarement devient un contrat tacite passé entre les deux mères et les deux fils, et les couples, cachés aux yeux de tous, deviennent tout ce qu’il y a de plus officiel dans les maisons de l’une et l’autre.
Au Paradis comme en Enfer
L’air de rien, Anne Fontaine piétine les tabous les uns après les autres sans jamais tenter de justifier, de condamner ou d’excuser les choix de ses personnages. La beauté insolente de ses comédiens et la splendeur des décors sont autant de subterfuges brillamment mis en place par la réalisatrice pour dérouler son intrigue : on est sonné, mais intrigué par les partis pris scénaristiques qui font peu de cas du caractère scandaleux de la situation. Ni folles hystériques, ni psychopathes dangereuses, Lil et Roz vivent (plus ou moins) sereinement leur idylle dans les bras de leurs rejetons sans se préoccuper de savoir si ces relations quasi incestueuses représentent un danger pour elles et pour leurs enfants. Anne Fontaine décrit une cellule familiale objectivement malsaine et toxique mais qui, pour ses deux « héroïnes », semble représenter une forme de paroxysme. Soit deux amies de toujours, unies comme deux sœurs, ayant exclu de leurs vies les mâles encombrants pour ne garder que les deux seuls prototypes parfaits de l’idéal masculin : leurs propres progénitures. Sous les traits parfaits de ses comédiens, Anne Fontaine filme l’étonnant rituel de ses personnages comme un documentariste fasciné par les us et coutumes du monde animal.
Pour Lil et Roz, le contrat est clair : les deux jeunes garçons se lasseront et dès lors, elles se retireront et laisseront leur place à d’autres femmes pour que leurs fils puissent se reproduire et mener une vie sociale convenable et attendue. Un premier dénouement vient étayer cette théorie inéluctable et le scénario semble s’engager sur une voie plus convenue, mais le film prend un virage nettement plus dramatique que la réalisatrice parvient à négocier avec justesse, sur la même ligne ténue, sèche et sans afféteries. Le dernier plan, glaçant, montre les personnages comme de minuscules insectes réduits à assumer jusqu’au bout leurs choix. Pour le meilleur ou pour le pire ? Anne Fontaine se garde bien de prendre parti, laissant le spectateur abasourdi.