On commence à avoir l’habitude de l’inégalité des films d’Anne Fontaine. Après qu’elle a réalisé le charmant Nouvelle chance, la cinéaste tente ‑assez vainement- d’étudier le conflit entre érotisme verbal et érotisme corporel. Au déséquilibre assez flagrant entre les acteurs s’ajoute un scénario lui aussi très inégal. On ne peut que regretter amèrement le temps où Anne Fontaine suivait les aventures de son Augustin.
Anne Fontaine a clairement voulu suivre les traces d’un Hitchcock en choisissant, comme le titre l’indique, Monaco comme décor unique de son dernier film : nous sommes pourtant bien loin de l’érotisme en métaphores de La Main au collet, dans lequel Cary Grant interprète un ancien voleur de bijoux qui entrait par effraction chez les bourgeoises monégasques et Grace Kelly une jeune femme de bonne famille qui tente, lors d’une scène sulfureuse, de faire main basse sur le bandit romantique en caressant langoureusement le collier en diamant qu’elle porte sur la gorge, tandis qu’un feu d’artifice explose à l’extérieur. Dans La Fille de Monaco, Cary Grant est dédoublé entre Fabrice Luchini et Roschdy Zem, et la princesse Grace remplacée par la jolie ‑et elle le sait- Louise Bourgoin, miss météo de Canal Plus qui fait également la pluie et le beau temps dans La Fille de Monaco. Évidemment, la comparaison est un peu malhonnête et fort désavantageuse pour les Luchini et consorts. Pourtant, Luchini et Zem s’en sortent avec les honneurs étant donné la sinusoïde de qualité que forment scénario et mise en scène. Mais ils ne peuvent parer à la platitude récurrente de l’histoire, et au manque d’approfondissement des personnages et des thèmes survolés.
C’est donc sur le Rocher, terre de rêves et de fantasmes de bas étage, que se retrouve Bertrand (Luchini), avocat spécialiste des affaires criminelles, sorti tout juste de Paris pour défendre la meurtrière d’un homme d’affaires russe. Clin d’œil à Chabrol, c’est Stéphane Audran qui interprète une nouvelle fois une femme criminelle perdue entre son amant et son fils, thème récurrent dans l’œuvre du maître. On est pourtant tout aussi loin d’un Chabrol que d’un Hitchcock : Anne Fontaine en a pris les ingrédients mais n’en tire rien. Bertrand est surveillé, protégé par Christophe (Zem) étant donné le danger russe qui plane, et tombe, lors d’une interview, sur Audrey, nymphe aux proportions défiant la grâce, mais n’ayant rien d’une vestale. Alors qu’il ne vit affectivement et professionnellement que par les mots, elle lui fait découvrir les plaisirs du corps pour eux-mêmes, gratuitement. Audrey a également connu Christophe qui semble osciller entre une certaine haine à l’égard de son ancienne maîtresse, et une jalousie envers Bertrand. Louise Bourgoin, dont le rôle ressemble tout de même beaucoup à la Fille coupée en deux de Chabrol ‑elle travaille sur une chaîne de télévision, elle navigue entre deux hommes, elle est blonde, sensuelle et faussement ingénue- est censée donner justement de la profondeur à son Audrey, faire sentir que derrière la plastique parfaite se cache une fille un peu moins simplette qu’il n’y paraît. Mais elle ne parvient jamais à faire autre chose de son personnage qu’un corps, abondamment filmé pour ce qu’il est par Anne Fontaine, qui n’existe donc dans le scénario et à l’écran que pour être objet de spectacle et non d’intrigue.
C’est d’ailleurs le principal problème du film : rien n’y est vraiment écrit, rien n’y est vraiment développé. On passe rapidement sur l’histoire de Stéphane Audran (toujours agréable à retrouver) pour y revenir lorsque l’histoire du trio amoureux devient un brin trop redondante ; le rapport entre Luchini et Zem, maître et serviteur, la dialectique du pouvoir, évidemment renversée en fin de film, sont esquissés mais jamais intelligemment traités. On se demande alors la réelle utilité de ces scènes secondaires, et parfois incohérentes, dans l’avancée dramatique. C’est finalement l’histoire d’amour de Bertrand pour Audrey qui prend la majeure partie du drame : là encore, Anne Fontaine se montre peu inventive, ne filmant les personnages qu’en plans rapprochés ‑ce qui évite l’arrière-plan et une construction plus complexe de l’image- et ne s’aventurant que rarement à l’extérieur, sauf lors du dénouement, où l’on a peine à ne pas se remémorer la virtuosité des scènes de voiture de La Main au collet pour se consoler. Comme son personnage d’Audrey, elle reste à la surface de son sujet, ne laissant presque aucune à une réflexion sur les rapports du cœur et du corps, n’en laissant pas davantage à ses deux acteurs masculins, Roschdy Zem parfait en gorille hiératique, et Fabrice Luchini, dont on connaît le talent pour mêler le ridicule au poétique. Rien de bien original, rien de bien porteur en somme.