Cela n’est mentionné nulle part au générique, mais Marvin ou la belle éducation n’est ni plus, ni moins qu’une libre adaptation du roman très autobiographique d’Édouard Louis, En finir avec Eddy Bellegueule. L’écrivain s’étant publiquement désolidarisé du projet, ce nouveau film d’Anne Fontaine arrive sur les écrans précédé d’une réputation peu flatteuse : est-ce une bonne nouvelle qu’un auteur refuse catégoriquement d’être associé à l’adaptation cinématographique de son œuvre ? Sur ce point précis, on se gardera bien de trancher, l’auteur n’étant pas forcément le meilleur juge pour décider de la qualité du traitement cinématographique de son travail (l’un des exemples les plus fameux restant le Shining de Kubrick, que Stephen King abhorre quand à peu près tout le monde s’accorde à dire que le film est un chef-d’œuvre). D’autant que le texte, très intime et très douloureux, est forcément soumis à une réinterprétation qui peut être violente pour l’auteur et que Marvin ou la belle éducation, outre les nombreuses libertés qu’il prend avec le matériau originel, offre une conclusion qui frôle le contre-sens avec celle du roman.
De Marvin en Martin
Les très nombreux problèmes dont souffre le film n’ont finalement qu’assez peu à voir avec ce débat qui ne manquera pas d’alimenter les discussions entre les admirateurs du livre et les autres. Si Marvin est indiscutablement un film raté, c’est moins parce que la réalisatrice choisit d’en faire un récit initiatique sur le pouvoir de l’éducation plutôt que le témoignage d’une enfance brutalisée par l’homophobie et l’ignorance, que parce qu’il échoue à faire exister un regard sur son sujet. La réalisatrice a beau multiplier les séquences d’humiliation du petit Marvin Bijou, régulièrement maltraité et insulté par ses camarades et sa famille pour son homosexualité (alors pas encore conscientisée par le jeune héros), elle ne parvient jamais à se hisser au-delà de l’illustration bien fade de cette histoire pourtant édifiante. Celle d’un enfant né et élevé dans une famille très populaire et peu bienveillante envers ses différences et ses aspirations (Marvin est calme et rêveur et il aime le théâtre : c’est forcément un petit pédé), que sa rencontre d’abord avec une directrice de collège protectrice, puis à l’adolescence avec un metteur en scène de théâtre, permettront de s’échapper d’une condition sociale asphyxiante et destructrice. Au point de changer de nom, se dépouiller d’un sobriquet originel et humiliant pour se réinventer en Martin Clément, comédien et auteur d’un spectacle sur sa propre vie.
Le film multiplie les va-et-vient entre l’enfance provinciale de Marvin et l’entrée dans l’âge adulte de Martin à Paris. Les deux territoires s’opposent de la façon la plus caricaturale possible, dans un défi de représentation impossible qui n’aurait pu trouver de salut cinématographique que dans des choix esthétiques sinon radicaux, tout au moins affirmés et assumés. Mais Anne Fontaine semble bien incapable de tels parti-pris et son film, à vouloir faire vrai et circonscrire ses personnages et les situations dans lesquelles ils sont plongés dans une forme de neutralité assez peu courageuse, offre le spectacle assez désespérant d’une tiédeur incompatible avec son propos. Le film en ressort soit complètement lissé, aplati (les scènes de l’enfance de Marvin dans sa famille, des Groseille light que la réalisatrice ne sait pas comment traiter : monstrueux malgré eux ? touchants malgré tout ?), soit tellement grotesques que ça en devient risible (le gay mondain, friqué et manipulateur interprété par Charles Berling ; le couple homo-arty-bobo incarné par Vincent Macaigne et Sharif Andoura). Comme chez le Kechiche de La Vie d’Adèle, mais sans les fulgurances esthétiques et narratives, les pauvres prolos boivent de la bière et ne jurent que par les frites, vont à la fête foraine et passent leur temps à s’insulter ; les riches boivent du champagne, sont précieux mais pervers, volages et punis pour leur hédonisme ; les bobos intellos mangent des huîtres, se gargarisent de discours pédants et finissent seuls.
Héros effacé
Marvin, puis Martin, est la conscience du film, plus que son moteur. Mais c’est une conscience curieusement anesthésiée, qui entretient un rapport dépassionné à ce qui l’entoure, à ce qui l’affecte et qui doit le faire réagir, alors qu’il s’agit paradoxalement du sujet du film : comment un enfant, puis un jeune adulte, certes aidé par une poignée de bonnes fées (dont une Isabelle Huppert WTF dans son propre rôle), parvient à s’extirper du marasme intellectuel et social qui le guette. En de trop rares occasions, Anne Fontaine réussit à rendre palpable l’extrême violence psychologique à laquelle doit faire face son héros, qu’il s’agisse de la découverte de sa sexualité à travers le regard des autres ou de son refus de s’inscrire dans un déterminisme fatal. Les séquences s’enchaînent sans que la réalisatrice sache comment exprimer son point de vue, et ce refus de se positionner autrement qu’en collant avec application à des scènes décrites dans le livre d’Édouard Louis (sans la force des mots, mais par le biais d’une caméra presque gênée d’être là) finit inévitablement par se retourner contre le film. On pourrait trouver à la conclusion apaisée choisie par la réalisatrice, très différente du roman, une forme de volonté utopique, presque touchante dans sa naïveté ; mais au regard du reste du film, elle apparaît comme un ultime renoncement, un refus de se positionner, la marque d’un découragement précisément là où le film, comme son héros, aurait gagné à plus de fièvre et de panache.