« Ah là là, je n’aimerais pas être dans la police ! » s’est exclamée près de nous une spectatrice en sortant du nouveau film d’Anne Fontaine. Rassurons-la, ce qu’a vu cette dame n’est guère représentatif du travail des forces de l’ordre. Et pour cause : les trois flics au cœur de l’intrigue, Virginie (Virginie Efira), Aristide (Omar Sy) et Erik (Grégory Gadebois), sont chargés de raccompagner à l’aéroport Charles-de-Gaulle Tohirov (Payman Maâdi), un réfugié ne parlant pas un mot de français, pour qu’il soit rapatrié dans son pays d’origine. Comme le dit très bien Virginie, « ce n’est pas notre boulot », mais le scénario en fait pourtant le centre dramatique du récit, au prix d’un tour de passe-passe (débordé par un incendie sur un centre de réfugiés, le service concerné appelle à la rescousse des policiers ordinaires). Le choix est d’autant plus étonnant qu’il semble aller à l’encontre du premier segment du film, plus « réaliste », où l’étude sociologique d’un commissariat (une journée et trois cas vécus par trois policiers différents) se voit assaisonnée d’une bonne dose de psychologie. Les affaires, évoquées très brièvement, sont en effet l’occasion de déployer un montage rembobinant à chaque fois le cours de l’action pour dévoiler un autre point de vue, et surtout entrevoir l’intériorité des personnages principaux, pas plus heureux dans leur vie professionnelle que privée.
De prime abord, cette partie pourrait apparaître comme la plus embarrassante, tant elle accumule poncifs et dialogues artificiels que le jeu empâté des trois acteurs (on a rarement vu Efira et Sy aussi médiocres) peine à relever, mais à l’arrivée, elle pèse peu face à l’impensé qui sous-tend le reste. Le dilemme moral que présente le deuxième temps du récit (« suivre les ordres » ou bien agir pour ne pas envoyer un innocent vers une mort certaine ?) repose sur un double déplacement : hors des prérogatives habituelles de la police, mais aussi hors du territoire dans lequel elle opère. Tout se tient encapsulé dans les limites d’un fourgon de police, lancé la nuit sur la route déserte qui mène à l’aéroport. De ce dispositif (qui joue notamment sur les fenêtres du véhicule, par lesquelles les lumières urbaines s’impriment sur les visages fermés des flics), Fontaine tire une allégorie assez grossière : le trajet s’apparente autant à une plongée dans une nuit intérieure qu’à un voyage vers les frontières de la moralité. Tohirov s’affirme dans cette perspective comme la seule figure en mesure de faire douter les policiers, tout en restant un personnage assez abstrait, voire théorique : muet et innocent, il est une parfaite incarnation de l’Autre, à proprement parler étrangère au cadre sociologique dans lequel le film s’inscrit très vaguement. On peut s’amuser de la conscience politique soudaine qui anime alors ces flics, quand on se remémore la séquence où Aristide et Virgine « bastonnent » sans se poser de questions des jeunes belliqueux sur les quais (une scène sans le moindre élément de contexte, qui alimente le fantasme d’une guérilla menée par des « ensauvagés » et sert surtout de prétexte à une discussion intime entre les personnages). Face à sa psychologue, qui évoque le stress qu’il subit, Aristide rétorque « Je ne pense à rien, je ne pense pas, je fais le vide » : tout le film tient dans cet aveu.