Peter Pan, c’est bien connu, ne veut pas grandir. Et jusqu’ici, le cinéma l’exauce : où qu’il volette, le personnage créé par J.M. Barrie en 1902 a bien du mal à se dépêtrer du traitement complaisant de premier degré institutionnalisé par Disney et sa version animée. Curieux pour une figure pourtant récupérée par la psychanalyse pour éclairer un peu l’inconscient de l’enfant comme de l’adulte, loin de la niaiserie confortée… Sa nouvelle adaptation, confiée par la Warner à Joe Wright, aggrave son cas par des similitudes avec un prédécesseur des plus embarrassants : le malheureux Hook commis par Steven Spielberg en 1991, dont il partage notamment l’abus de clinquant en guise de plongée dans l’imaginaire, la réduction des minorités ethniques (acteurs ou personnages) à un exotisme plus que douteux, et un méchant histrionique — ô surprise ! ici ce n’est pas le capitaine Crochet, ce qui ne l’empêche pas d’être campé par un Hugh Jackman valant son pesant de Dustin Hoffman. Mais Pan n’est pas en reste de fautes de goût nouvelles, comme cette impensable reprise de « Smells like Teen Spirit » par un chœur d’enfants qui a dû faire faire à Kurt Cobain le grand huit dans sa tombe, et qu’on attribuera à un violent accès de modernisme mal placé et stérile.
Du vieux neuf avec du vieux
C’est que ce film en fait, des efforts, pour faire mine de proposer quelque chose de nouveau sur une icône déjà ancienne. L’ennui est qu’il ne fait que réveiller des réflexes industriels propres seulement à aggraver la lourdeur de l’ensemble. En guise de scénario, on nous déroule un prequel standard de type « Les Origines » rafistolant des ficelles si grosses qu’elles emprisonnent les personnages et les privent d’intérêt (mais oui, Peter, tu es « l’Élu » !), une profusion d’allusions ultra-téléphonées à des détails absents mais connus de la légende (on trouvera donc un crochet, un tic-tac d’horloge et même des « pensées agréables»…) et de changements de rôle prometteurs mais mollement exploités (petit spoiler : Crochet est ici un gentil, un genre de Han Solo en plus transparent). Soit une manière à peine déguisée sous le prétexte du prequel de produire un remake dispendieux de l’histoire d’origine, artificiellement augmenté par les tics hollywoodiens d’aujourd’hui, tout en persistant dans le refus, tristement familier, d’en faire décoller la lecture au-delà de la guimauve primaire (la suggestion des premières minutes que tout ceci pourrait n’être qu’un rêve de l’imaginatif Peter tombant rapidement à plat).
Guimauve enrichie par le traitement visuel qui s’en remet, pour figurer les apparitions merveilleuses, à un maelström d’effets numériques vidant les formes de leur consistance, pas toujours hideux mais qui n’oublient pas de l’être (le comble étant atteint avec la représentation « par magie » du combat entre le méchant et la mère de Peter, presque inregardable). Tout au plus, dans la mise en scène lourde à la fois d’enthousiasme et de servilité de Wright, pourrait-on sauver l’idée, constante et pas si idiote, que le merveilleux s’exprimerait physiquement sous forme non de blocs mais de particules, telles des étincelles ou de la poudre de fée, propices à des dispersions et des mutations : les particules apparaissent en nuages, s’assemblent en silhouettes surnaturelles, s’échappent même du cadre à la faveur de fragments d’objets projetés (c’est d’ailleurs là l’usage le plus original que ce Pan fait de la 3D…). Mais dans le triste monde qui est le nôtre, une pensée agréable sauve rarement un film.