Le film à sketches est un des terrains favoris des cinéastes italiens des années 1960, propice à la dissection humoristique des mœurs italiennes. Ce format, court et mordant, prend la forme d’une blague qui tient en haleine le spectateur jusqu’à la chute finale qui tombe comme un couperet. Chroniqueur pour des journaux humoristiques puis co-scénariste à succès des Monstres, du Fanfaron de Dino Risi et bien d’autres, le réalisateur Ettore Scola prend son envol sur les conseils de Vittorio Gassman, un des ses acteurs fétiches (ils tourneront huit films ensemble), et réalise ainsi son premier long métrage. Comprenant huit sketches grivois sur la relation homme/femme, tous interprétés par V. Gassman dans le rôle masculin, l’inégalité et la caricature l’emportent dans la première tentative de celui qui observera toujours sous toutes les coutures ses contemporains.
Parade amoureuse ?
Si le titre laisse à penser que les femmes vont en être la risée exclusive, ce n’est pas tout à fait le cas (surtout que le titre italien « Si vous le permettez, parlons des femmes » est plus courtois que sa version française). Manipulation et sexe caractérisent les rapports qui se déploient sous nos yeux dans des situations tout aussi truculentes les unes que les autres. Scola et son scénariste habituel, Ruggero Maccari, ont l’habileté de passer au crible hommes et femmes confondus, mais par le biais de personnages stéréotypés (le cocu, l’ouvrier rustaud, le puceau mais aussi la mamma castratrice, la bourgeoise encanaillée, la généreuse prostituée). Qu’ils soient dragueur, filou, timide ou grossier, qu’ils dominent ou qu’ils soient dominés, les personnages masculins, victimes de leur désir aveugle, sont tous ridicules mais parviennent à obtenir ce qu’ils convoitent. C’est la femme qui est le dindon de la farce, à quelques rares exceptions près. Et s’il lui arrive de triompher, elle reste la victime de la concupiscence de l’homme (enceinte, déshonorée, remplacée par une autre, dupée) ou elle a au mieux fait cocu un autre… La femme est réduite à un simple objet sexuel et l’homme n’a qu’une obsession : les scénaristes se cachent ainsi derrière l’exercice de la caricature qui leur autorise tous les excès et les exonère de toute subtilité. Le film semble alors s’adresser à un public exclusivement masculin et « macho » colportant de plus un certain cliché italien sur la gent masculine auquel il donne raison.
Scola et Maccari ont recours à deux types de récit : le gag, un court sketch qui mène à un retournement de situation grotesque (l’homme qui drague des femmes pour se faire raccompagner chez lui car il a raté le dernier bus) ou bien des courts métrages plus élaborés qui se terminent en pied-de-nez (la bourgeoise excitée par la vulgarité de l’ouvrier et qui profite de lui jusqu’au bout).
Déséquilibre
Le format du sketch a d’abord ceci de lassant qu’il est systématique et prévisible, entraînant le spectateur dans une routine fastidieuse. Et le plus gros risque encouru est la disparité. En effet, le film débute par un des meilleurs sketches du film qui permet à Gassman de s’en donner à cœur joie dans l’interprétation d’un mystérieux cavalier et à Scola de développer une mise en scène parodique du western (à une époque où le western spaghetti est populaire) mais le reste est médiocre et l’ensemble fort inégal (sauf le dernier sketch, clin d’œil au Fanfaron). La bonne volonté de Scola est trop visible dans certains développements laborieux du récit (l’interminable et symbolique ascension de l’ouvrier de l’immeuble de la bourgeoise qui l’a invité à monter, le sketch insipide sur le mari qui accepte que sa femme soit prostituée sans que rien ne se produise véritablement), certains renversements de situation plus réussis que d’autres. Et il faut avouer, bien que cela soit triste à dire, que Gassman n’est parfois pas loin d’être cabotin, enfoncé malgré lui par les poncifs qui caractérisent le scénario. Finalement, au fur et à mesure des sketches, le film repose bien plus sur la performance de cet homme-caméléon (qui regroupe en quelque sorte tous les clichés masculins) que sur une véritable analyse des relations entre les deux sexes qui reste bien trop superficielle et de mauvais goût.
La libération des mœurs ne semble pas avoir toujours eu un impact positif sur le cinéma italien. Si l’on peut saluer un traitement bien plus subtil et drôle de l’affrontement entre les deux sexes dans le film à sketches Ces messieurs dames de Pietro Germi réalisé deux ans plus tard (surtout plus féroce et satirique dans sa critique de la bourgeoisie), l’éparpillement et la caricature à l’œuvre dans Parlons femmes diluent le propos dont on retient plus la vulgarité que la satire, la trivialité que l’à-propos.