L’été sera italien au Nouveau Latina, et sous le signe du rire. L’on parle beaucoup ces derniers temps du renouveau du cinéma italien : les succès cannois de Gomorra et Il Divo n’y sont pas pour rien. Mais il fut un temps – après le néoréalisme – où l’actualité était abordée avec les armes du rire et de la satire : c’était alors l’âge d’or de la comédie à l’italienne, dans les années 1960-1970, quand une Italie en pleine mutation économique et sociale se voyait épinglée, stigmatisée, mais aussi reflétée avec amour sur les écrans des cinémas. C’est cette Italie que le Nouveau Latina fait revivre le temps d’un été, grâce à une sélection de quelques chefs d’œuvre des plus grands maîtres du genre : Vittorio De Sica, Luigi Comencini, Dino Risi, Ettore Scola, Pietro Germi, et même… Fellini et Visconti. Mais avant d’entrer dans la salle « Rossellini », ou pour faire durer le plaisir de cette immersion italienne, jetez un œil à l’exposition organisée dans le tout nouveau café du Nouveau Latina : Mastroianni, Anita Ekberg, Sophia Loren peuplent les murs du « Zicatela », grâce à un montage vidéo et à un petit choix d’affiches originales et de photos de tournage.
L’effervescence qui secoue le cinéma italien depuis quelque temps est en fait assez peu perceptible en France : mais l’on aura peut-être eu l’occasion de voir passer discrètement sur les écrans, caché derrière le mastodonte Gomorra, Le Déjeuner du 15 août, rafraîchissante comédie, originale héritière d’un genre qui fit florès dans les années 1960 et 1970 en Italie : la « comédie à l’italienne ». Le cinéma italien d’aujourd’hui ne peut évidemment ignorer ce genre dans lequel s’illustrèrent des cinéastes, des scénaristes, ou des acteurs dont les noms sont associés aux plus grands classiques du cinéma.
L’histoire du cinéma, toujours friande de dates charnières, a coutume d’attribuer au Pigeon (1958) de Mario Monicelli le titre de première comédie à l’italienne. Le film surprend en effet par des mélanges inattendus : la comédie fleurit sur une ligne dramatique et le tragique vient perturber le rire dans ce genre qui stigmatise l’envers d’un décor flamboyant, celui de l’Italie du boom économique. Puisant aux trois sources vives que sont la commedia dell’arte, la comédie napolitaine et le néoréalisme, la « comédie à l’italienne » a su absorber cet héritage pour le transfigurer dans des œuvres originales et souvent remarquables.
Toutes sortes de correspondances se font jour entre les films du cycle. Les comédies à l’italienne n’ont cessé de renvoyer les unes aux autres, de s’emprunter et de se renvoyer les acteurs, les scénaristes ou les compositeurs : amusons-nous donc à tisser quelques liens entre les films choisis par le Nouveau Latina. Et comme le couple est à l’honneur dans les films du genre, procédons par couples.
Films à sketches
Monicelli, justement, est le grand absent de ce cycle italien, et c’est dommage. Cette absence est d’autant plus cruelle que Boccace 70 s’est fait une place sur les écrans du Nouveau Latina : or le sketch réalisé par Monicelli pour cette adaptation des contes de Boccace avait été coupé lors de la sortie du film. Mais ne boudons pas notre plaisir pour autant : Fellini, Visconti et De Sica, sous la casquette de Boccace, réalisent ici trois sketches très personnels et jouissifs, mettant en scène respectivement Anita Ekberg, Romy Schneider et Sophia Loren. Dans « Les Tentations du Dr Antonio », Fellini joue avec sa propre filmographie, en faisant de la désormais mythique Anita Ekberg (La Dolce Vita est sorti deux ans plus tôt) le symbole du fantasme à l’état pur, dans une société puritaine et hypocrite incarnée par Peppino De Filippo. Le nom de l’acteur rappelle justement cette parenté que la comédie à l’italienne entretient avec la comédie napolitaine, et, au-delà, avec la commedia dell’arte, et qui se fait particulièrement sensible dans le second film à sketches de la sélection : Les Monstres (1963). Dans ce chef d’œuvre de Dino Risi, Ugo Tognazzi et Vittorio Gassman campent des monstres du quotidien, Tartuffes grotesques et cocasses, fourbes et égoïstes, dans une suite de sketches satiriques hilarants sur la religion, la politique, l’éducation, la justice, ou même l’incontournable passion des Italiens pour le foot. Le film à sketches n’est pas loin d’être un sous-genre de la « comédie à l’italienne », et Dino Risi tire un parti extraordinaire de la confrontation des talents comiques propres à chacun de ces deux acteurs.
Le monde des borgate
Si le néoréalisme apparaît immédiatement comme une véritable matrice du genre, un bond de dix ans permet de mesurer la permanence de cet ancrage dans le cinéma de Rossellini ou du Pasolini des premiers temps. Le monde des borgate si cher à Pasolini est au cœur de deux autres comédies du cycle : Affreux, sales et méchants, d’Ettore Scola (1976) et L’Argent de la vieille, de Luigi Comencini (1977). Le réalisateur d’Accattone (1961) devait d’ailleurs introduire le film d’Ettore Scola (qui ressort sur copie neuve), pour évoquer le « génocide culturel » qui avait frappé l’Italie depuis le temps d’Accattone et dont témoignaient ces bidonvilles des faubourgs romains. Si sa mort tragique l’empêcha de provoquer le scandale une fois encore, le film de Scola parle de lui-même, sous le masque d’un Nino Manfredi répugnant de crasse et de vulgarité, baignant dans un univers sordide non dénué d’échappées poétiques. Rendons hommage pour l’occasion à la musique d’Armando Trovajoli, qui fait ressortir, ici comme pour ses collaborations avec De Sica ou Dino Risi (il a composé la musique des Monstres, par exemple) toute la bigarrure comique et tragique, grotesque et poétique, qui fait la spécificité des meilleures « comédies à l’italienne ». Comencini se sert lui aussi du contraste pour faire éclater au grand jour le scandale de la vie de ces miséreux des bidonvilles, en déposant sur cette terre boueuse Silvana Mangano, l’actrice au fin visage aristocratique, dans un quasi duel avec la cruelle et richissime Bette Davis. Le rire jaillit à peine, et l’on sourit plutôt avec angoisse et pitié, tant Comencini parvient à susciter l’empathie du spectateur pour le drame qui se joue sous ses yeux. On ne peut qu’applaudir le choix de ces deux films qui, tout en jouant sur des registres quasiment opposés, font affleurer tous deux le sublime et le grotesque.
Je t’aime moi non plus
Il serait sacrilège de faire un cycle « comédie à l’italienne » sans projeter un film mettant en scène le couple mythique Marcello Mastroianni-Sophia Loren. Le Nouveau Latina évite ce crime de lèse-majesté cinématographique, avec Mariage à l’italienne de De Sica (1962), adapté de la comédie napolitaine de Eduardo De Filippo (le frère du Peppino de « La Tentation du docteur Antonio »), et produit par Carlo Ponti, dont il aurait été tout aussi sacrilège de ne pas écrire le nom dans cet article… Le fait qu’il ait été l’époux de la diva Sophia mérite déjà qu’on s’y arrête, diront certains. Mais il a surtout été le fer de lance, le soutien, le promoteur de nombre des meilleures comédies à l’italienne (son nom n’est pas non plus inconnu des passionnés de la Nouvelle Vague…). À cette histoire très drôle de mariage forcé (Sophia Loren contraignant un Mastroianni macho et volage à l’épouser en jouant la mourante), Pietro Germi semble répondre deux ans plus tard par une histoire de divorce impossible, avec Ces messieurs dames… Il est vrai que la question est une véritable marotte pour le réalisateur, qui avait en fait réalisé en 1961 un Divorce à l’italienne qui mettait justement en scène Marcello Mastroianni. Il faut dire que la question est d’actualité et traverse d’innombrables « comédies à l’italienne » : le divorce n’est toujours pas légal et la question se pose de plus en plus. Carlo Ponti lui-même dut prendre la nationalité française pour pouvoir divorcer et épouser la belle Loren… À l’univers napolitain de De Sica s’oppose ici la moyenne bourgeoisie du Nord de l’Italie, dont l’hypocrisie est tournée en dérision avec acuité par les dialogues ciselés du tandem de scénaristes Age-Scarpelli. Voilà encore des noms qu’il aurait été impardonnable d’omettre ! Mais il faudrait des pages et des pages pour rendre justice à tous ces films, à leurs acteurs, scénaristes, ou producteurs. Mais aussi pour épeler le chapelet des absents : Monicelli, Totò, Monica Vitti pour n’en citer que trois.
Last but not least
On aurait pu évoquer ensemble les deux films de Dino Risi, Le Fanfaron et Les Monstres, distants d’un an seulement. Mais on ne peut s’empêcher de réserver une place de choix, et en solo, au Fanfaron, ce chef d’œuvre du cinéma, sorte de road-movie comique et de voyage initiatique tragique, dont le thème central est, justement, la solitude : « l’incommunicabilité », aurait dit Antonioni, cité d’ailleurs avec désinvolture par un Vittorio Gassman enfoncé jusqu’au coup dans cette tragédie du monde moderne et faisant le plus de bruit possible pour ne pas entendre le silence. Qui n’a pas vu ce film n’a rien vu, pourrait-on dire, en pastichant un texte de Dominique Noguez sur Œdipe roi.
Dolce vita au Zicatela
Depuis quelques mois, le Nouveau Latina a ouvert un sympathique café mexicain, le Zicatela, qui fait aussi office de librairie, vidéothèque et galerie d’art. Le mot est un peu prétentieux par rapport à la réalité, mais on ne saurait bouder pour autant l’agréable exposition « multi-médias » consacrée à la comédie italienne. Tandis que sur le mur du fond est projeté un montage vidéo d’extraits de films, interviews de réalisateurs, scénaristes, acteurs, ou encore de spécialistes du cinéma italien (une sorte de « mix » des bonus des DVD Carlotta, à ce qu’il nous a semblé), les autres murs exposent un choix d’affiches originales (en vente) et de photos de tournage (prêtées par la galerie Intemporel). Ce n’est pas non plus l’exposition « Divas Italia » du Bon Marché – les moyens ne sont pas les mêmes – mais on a un peu l’impression dans l’intimité du Zicatela de tomber par hasard sur quelques souvenirs conservés par un passionné et accessibles aux seuls initiés, cachés au premier étage d’un cinéma qui fait bien souvent la joie des cinéphiles. Juste avant d’emprunter le couloir qui mène à la salle Rossellini, n’hésitez donc surtout pas à dévier sur votre gauche pour flâner un peu dans cette antichambre de la comédie, qui présente l’avantage de donner des aperçus sur des films non retenus pour le cycle. À côté de l’affiche italienne originale des Poupées, vous pourrez aussi tomber sur celle, assez « design » et toute en rouge et blanc, de Boccace 70 pour la RDA, ou sur la belle affiche polonaise de Hier, aujourd’hui et demain, qui superpose trois fois l’œil aux longs cils de Sophia Loren. Il y a un certain contraste avec les affiches pop, colorées et surchargées, mélangeant montage photos et dessins, de l’Italie ou de la France. Toutes ces affiches sont en vente (aux alentours de cent euros), pour le cas vous souhaiteriez vous réveiller sous le triple œil de la diva… Les réalisateurs et les acteurs sont à l’honneur sur les photos de tournage : Anita Ekberg enfilant des « stilettos » plus grands qu’elle-même (littéralement…), Sophia Loren en porte-jarretelles, Gassman et Tognazzi dans le sublime dernier plan des Monstres, Pietro Germi de face à côté d’un Fellini de dos les mains levées dans un grand geste… à l’italienne.
Qu’est-ce donc que la comédie à l’italienne ? L’exposition ne prétend nullement répondre à la question : elle n’est là que pour préparer ou prolonger une plongée cinématographique dans un « genre », certes, mais surtout dans des œuvres qu’on ne saurait simplement voir en termes d’appartenance à ce genre, tant prime, dans les films choisis, l’originalité et la diversité.