Ça commence par une libération. Celle d’Alain, quarante-huit ans, qui sort de prison et s’installe chez Yvette, sa mère, le temps de trouver du boulot. Mais cette cohabitation forcée le replonge dans la claustration émotionnelle qui emmure ces deux âmes. Avec Quelques heures de printemps, Stéphane Brizé continue son exploration de la solitude dans un film âpre et juste.
Elle mange devant le JT de TF1, fait un puzzle et des compotes de pommes, repasse ses torchons, prend ses médicaments. La vie d’Yvette, frêle veuve maniaque, est réglée comme du papier à musique. Sauf que la mélodie domestique n’a plus rien d’agréable et ne laisse que la place à la pesanteur des silences, attendant sagement sa conclusion fatale. Car Yvette est malade, atteinte d’un cancer incurable qu’elle a choisi de combattre « dignement » en optant pour le suicide assisté, en Suisse. Mais on sent bien, d’emblée, que l’austérité de chacun de ses gestes, de chacune de ses avares paroles, est plus profondément ancrée en elle. Et que son fils qui la rejoint sans plaisir après dix-huit mois de prison pour un minable trafic de drogue a hérité de sa triste rugosité.
Ils n’arrivent pas à se parler, à communiquer. Les regards s’effleurent à peine, les corps s’éloignent, et la partition oscille entre les silences et les cris, ne parvenant jamais à trouver une mesure intermédiaire où trouver une entente. Les mots s’évanouissent et les émotions, enfouies depuis trop longtemps, s’effacent dans la mécanicité mutique d’un quotidien à l’âpre banalité. Il est alors une autre maladie dans ce film, qui ronge tous les êtres et semble contagieux, empoisonnant les rapports avec le voisin amoureux ou la belle femme pourtant pétillante séduite par Alain : la difficulté à se livrer et la muraille de solitude qu’elle élève entre les êtres qui s’aiment. Un sujet que Brizé explorait déjà dans ses précédents longs-métrages, Je ne suis pas là pour être aimé et Mademoiselle Chambon. De fait, Quelques heures de printemps ne se veut nullement un film à thèse sur le suicide assisté à l’heure où la scène politique française relance le débat sur l’euthanasie. La mort choisie sert d’événement dramaturgique en filigrane, solution ultime pour confronter ce couple malade à une situation que le quotidien ne peut plus instaurer, celle d’un échange, d’une étreinte qui saura crever l’abcès du désamour.
Pour exprimer ce drame intimiste, la mise en scène de Brizé épouse cette âpreté. Plans rapprochés, champs-contrechamps et plans séquences enrobent le film d’une épure classique sans jamais le soumettre à un schématisme complaisant. Le champ-contrechamp peut ainsi souligner le clivage comme l’accord, notamment dans la scène de rencontre avec Clémence (Emmanuelle Seigner), séduction sans mot fondée sur l’intensité des regards. On pourrait redouter qu’un tel ascétisme ne vire à l’exercice de style d’un minimalisme auteuriste. Mais la puissance des comédiens, mélancolie volcanique de Vincent Lindon et douloureuse sécheresse d’Hélène Vincent, ôte le doute. La longueur des plans durant lesquels prolifère la tension comme le cancer d’Yvette laisse le temps aux acteurs de distiller d’infimes nuances qui font la richesse essentielle de ce long-métrage. S’il ne plombe jamais son film d’un discours sur le suicide assisté, Brizé a également l’intelligence de ne pas céder à l’emphase mélodramatique qui pourrait enfermer un tel sujet, en ouvrant quelques portes furtives à une délicate drôlerie. On en ressort la larme à l’œil sans avoir la désagréable sensation de se l’être fait arracher à coups de pathos.