Suite au succès de Maria’s Lovers en 1984, le réalisateur soviétique Andreï Kontchalovski prend ses marques à Hollywood qui lui confie l’année suivante la réalisation d’un film d’action. Quoique un peu daté dans son esthétique, Runaway Train se révèle d’une efficacité redoutable et permet à Jon Voight de livrer une composition bouleversante.
Les films d’action diablement efficaces reposent le plus souvent sur un dispositif extrêmement simple. On se souvient de l’habile recette qui fit de Speed (signé Jan De Bont) l’un des grands succès du box-office de l’année 1994. Pourtant, cette improbable histoire de bus lancé à toutes blindes dans les rues de Los Angeles n’était que le remake de Super Express 109 du Japonais Junya Satô (1975), nettement moins connu chez nous. Quelques années avant cet emprunt, c’est également du côté de l’archipel nippon qu’Andreï Kontchalovski est allé chercher son inspiration pour son second projet hollywoodien. En partant d’un scénario écrit par Akira Kurosawa, le réalisateur d’origine soviétique décidait de mettre en scène deux fuyards prisonniers d’un train fou traversant les paysages hostiles d’un Alaska congelé. Loin de se limiter à ce dispositif éprouvé qui limite l’enjeu scénaristique et sa résolution à une seule unité d’espace et de temps, Kontchalovski parvient à insuffler de la chair et du sentiment à cette épreuve en humanisant Oscar et Buck, ses deux personnages principaux. Ambigus, instinctifs, désabusés et solitaires, ils donnent à cette fuite en avant des accents de tragédie funeste.
Pourtant, les premières scènes du film avaient de quoi inquiéter. Symptomatique d’une esthétique très années 1980, l’ouverture se déroule dans une prison de haute sécurité où l’ambiance et les décors semblent post-apocalyptiques. Rappelant New York 1997 de John Carpenter sorti quelques années plus tôt, Runaway Train s’inscrit dans la continuité de ces films de prison aux représentations outrancières et un peu clinquantes, probable héritage du Midnight Express d’Alan Parker dont la lourdeur n’est plus vraiment à démontrer. Il faut donc attendre que les deux complices s’extirpent de ce lieu pour que la mise en scène prenne de l’ampleur au profit d’un assèchement du dispositif. Ainsi dégraissé, le scénario permet que les deux niveaux de lecture (la tentative d’évasion qui devient spectaculaire, l’humanité des personnages qui ramène l’enjeu à quelque chose de plus prosaïque) de parfaitement s’emboîter. L’hostilité des extérieurs – l’Alaska au cœur de l’hiver – ramène les fuyards à des considérations pratiques qui les confrontent à leurs limites physiques et psychologiques. Oscar vieillit et n’a plus la fougue de son associé, Buck qui, quant à lui, est dépourvu de maturité. Arrivés au point limite de leur existence, ils vont donc être confrontés à leurs instincts primitifs exacerbés par la question de la survie.
Avec une économie de moyens bienvenue, Andreï Kontchalovski joue sur la dualité chair/ferraille. Les locomotives qui transpercent les pleines enneigées d’Alaska sont de puissants et effrayants amas de taule impossibles à dompter. À l’horizon, la seule présence humaine qui se manifeste affiche son hostilité à l’égard des occupants piégés. Pris dans l’engrenage de la fatalité, les évadés passent d’un univers carcéral à un autre. En dépit de leur détermination agressive, Oscar et Buck sont constamment ramenés à leurs propres limites. Ici, la souffrance est au centre de chaque scène car les corps sont constamment meurtris : le blizzard qui fouette les visages, les hématomes, des doigts broyés dans les mécanismes, etc. Sans sombrer dans la surenchère, le réalisateur parvient avec une belle frontalité à restituer la grande détresse d’un instant présent qui bouche toute perspective. Et pourtant, la caméra sait jouer de cette profondeur de champ, longeant les rails qui dessinent une ligne de fuite conduisant vers la mort. C’est ce pessimisme ambiant qui donne à Runaway Train sa consistance, soutenu par la composition très inspirée de Jon Voight, vieux loup prêt à tout sacrifier pour que ne s’éloigne jamais le parfum de la liberté retrouvée.