Porté par un casting international (Michael Shannon, Gael García Bernal, Veronica Ferres) et un pitch coup de poing (une équipe de scientifiques enquêtant sur un désastre écologique en Amérique latine est enlevée par des guérilleros colombiens), le nouveau né de Werner Herzog frappe en réalité là où on ne l’attend pas. Le thriller politique, qui ouvre des pistes de science-fiction, étonne par son incongruité. Sa mise en scène, qui peut évoquer un mélange raté entre Jeff Nichols et Terrence Malick, s’avère à l’arrivée étonnamment onirique et surtout très libre.
Artificialité
Rapidement, les dialogues sonnent faux, les répliques détonnent ; le surjeu des acteurs flirte avec le ridicule alors que les scènes sont pourtant amenées a priori avec l’esprit de sérieux qui convient : kidnapping par des hommes encagoulés armés de Kalachnikov, caméra à l’épaule, intérieur 4×4, flash-back dans l’avion etc. Cependant, plusieurs indices, plus ou moins subtils, notamment les notes dissonantes de hautbois qui accompagnent les scènes ou les plans tournoyant houleux à la steadicam, contribuent à la déréalisation du film. L’artificialité de la mise en scène évoque, d’une certaine manière, le Nosferatu d’Herzog (1979), actualisation du mythe dans un style étonnement arythmique et glacé, à contre-courant du remake d’action façon eighties attendu. Libéré des codes du genre, terriblement libre même, Salt and Fire parvient à devenir drôle dans le sérieux de ses outrances : les partenaires de l’héroïne (García Bernal en tête) sont tenus en otage à cause d’un virus intestinal volontairement inoculé par leurs geôliers ; plus tard, un terroriste handicapé se dresse inopinément de son fauteuil en plein milieu d’une scène, illustrant que cet enlèvement n’est littéralement qu’une mascarade…
Cinéma d’anamorphose
Peu à peu le film bascule lorsque le ravisseur se dévoile et explique à Laura ses erreurs de points de vue : lui, ancien dirigeant industriel, a contribué à l’assèchement complet d’une région du monde. S’appuyant sur des métaphores fumeuses et les jeux d’optiques d’une grande fresque murale, il démontre à la scientifique (et au spectateur) que «la réalité n’existe pas», et que, «en changeant de perspective, on perçoit le monde différemment», et l’invite pour cela à ouvrir les yeux du monde sur le désastre écologique. À ce stade, Herzog s’embourbe dans ces explications par trop explicites. Mais au-delà de ce discours excessivement mis en abyme, il faut reconnaître au film sa capacité à bousculer par son étrangeté : la dernière partie, utopie insulaire au milieu d’un désert de sel, entre en résonance avec les meilleures heures de Moebius. On croit un temps que l’on vit une réalité alternative, le fantasme d’une recréation familiale construit par une femme séparée malgré elle de sa fille… – mais la révélation finale, d’une platitude à faire pâlir Quantum of Solace, ferme brusquement toutes ces portes, renvoyant le film à ce qu’il est : une proposition monstrueuse et absurde, mécanique et morte-vivante, à l’image de ce dernier plan d’un fauteuil roulant motorisé avançant seul dans le désert.