Tel Monsieur Oscar dans Holy Motors, Yuichi ne cesse de changer de costume, incarnant tour à tour le père de la jeune Mahiro, l’employé coupable d’une gare ou encore un paparazzo à la poursuite d’une fausse star. Membre de la société Family Romance, il fait de la métamorphose sa profession : si le scénario ressemble à un film de science-fiction, il est pourtant basé sur le phénomène réel de la location d’« amis » au Japon, où la solitude règne en maître. Cette confusion entre fiction et documentaire apparaît dès l’ouverture du film, où la caméra portée, les regards caméra des passants, les cadres bancals ou encore le jeu naturel des acteurs donnent l’impression que la rencontre entre Mahiro et Yuichi a été prise sur le vif. Les nombreuses surfaces réfléchissantes (l’aquarium d’un hôtel, la porte de la maison de Yuichi ou le téléphone portable de Mahiro) sont semblables à des écrans de cinéma, où la réalité peut se révéler trompeuse. Le trouble est enfin accentué par une mise en abyme vertigineuse, lorsque Yuichi doute de l’authenticité de sa propre famille et rêve de samouraïs qui feignent de se tuer à l’aide d’armes invisibles.
Le cinéaste filme à nouveau la disparition de l’humanité, non plus dévorée par la jungle (Aguirre, la colère de Dieu) ou chassée par l’explosion imminente d’un volcan (La Soufrière), mais progressivement remplacée par des robots aussi fascinants qu’effrayants. On retrouve également son goût pour la démesure, à travers des personnages qui souhaitent façonner la réalité selon leurs désirs, tel que cette femme qui voudrait revivre le jour où elle a remporté une grosse somme d’argent. S’il en conserve quelques traces, Family Romance, LLC ne possède pourtant pas la puissance mystique des plus grandes œuvres du cinéaste. Les violons et les ralentis qui accompagnent l’étreinte entre Mahiro et son prétendu père soulignent avec lourdeur l’émotion provoquée par leur rapprochement. L’utilisation du drone, en plus de capturer Tokyo à la manière d’un fade paysage de carte postale, insiste de la même manière sur l’incongruité de certaines situations, comme celle où une femme téléphone aux vivants depuis un rocher situé au bord de la mer. Malgré l’intrigante étrangeté de son sujet, Family Romance déçoit donc par sa mise en scène trop explicative.