Avec une compétition européenne de 22 films et seulement cinq jours de festival, les Rencontres du Moyen Métrage de Brive entendent donner une visibilité de choix à chaque cinéaste sélectionné, comme le rappelait Elsa Charbit, sa déléguée générale. Pas étonnant d’y sentir un vent de jeunesse, autant au vu de l’âge de certains cinéastes que des sujets traités par leurs films. Pas étonnant non plus que souffle dans cette sélection resserrée une inventivité renforcée par l’extrême diversité des films présentés.
Revendiquer une force d’expérimentation propre à un format dont les difficultés de production et de diffusion sont grandes, telle semblait être la devise de l’équipe de sélectionneurs. Cette croyance dans la vigueur du format moyen s’affichait aussi dans les programmations consacrées au Free Cinema ou au cinéma contemporain japonais, ainsi que dans les parcours qui commencèrent leur carrière par le moyen (Douglas Sirk, Paul Verhoeven) ou qui y firent de fréquentes incursions (Werner Herzog).
Nous avions déjà croisé le chemin de certains des films de la sélection, présentés dans des festivals spécialisés. Ainsi, les films déjà remarqués lors de la dernière édition de Premiers Plans d’Angers comme Motu Maeva de Maureen Fazendeiro et Comme une grande d’Héloïse Pelloquet, respectivement Grand Prix Europe-Brive et Grand Prix France-Brive.
Ton cœur au hasard de Aude Léa Rapin et Notre Dame des Hormones de Bertrand Mandico, vus au festival de Court métrage de Clermont-Ferrand, ou Les Enfants de Jean-Sébastien Chauvin à Côté court et à Vendôme. Ou encore, sur le versant documentaire, Souvenirs de la Géhenne, Nocturnes et IEC Long présentés en mars au Cinéma du Réel. Petit tour d’horizon des inédits de ce laboratoire, entre patrimoine et très contemporain.
Qu’avons-nous fait de nos vingt ans ?
La projection de Lupino aura été un moment important de ce festival de Brive : de cinéma, il est question pendant les 49 minutes que le film de François Farellacci affiche au compteur. La mise-en-scène adopte ici littéralement son sujet : Lupino comprend – au sens de prendre avec lui – les adolescents abandonnés sur les rivages de la société qu’il suit aléatoirement dans le quartier homonyme de Bastia. Le moyen métrage démarre ainsi, pied au plancher, sur des images VHS de gamins aux contours flous, accompagnés d’une chanson de métal particulièrement percutante de Gojira : son titre programmatique, « L’Enfant sauvage », annonce le mélange de tendresse et d’âpreté qui va conduire le récit, tant ses protagonistes peuvent s’insulter tout en se prenant dans les bras. Mais ce qui frappe, c’est la vitalité incandescente de ces jeunes laissés-pour-compte que Farellacci rencontrés lors du tournage de son précédent film, L’Île des morts : ils étaient alors en charge du feu de la Saint-Jean qui a dégénéré en un bûcher démesuré. Reprises dans Lupino, ces images cernent bien le problème du cinéaste face à cette réalité sans concession : comment donner de la présence à ses personnages quand ceux-ci ne font que tenter de s’évader de ce territoire circonscrit par des tunnels, des collines, une quatre voies et une voie ferrée ? Farellacci les filme alors dans leurs éternelles déambulations sur les routes, à pieds ou en voiture, dans une forme qu’on pourrait qualifier d’élégiaque si la sécheresse du contexte n’était aussi prégnante. Car si la Corse y devient parfois l’île des enfants perdus de Gus Van Sant et Harmony Korine, elle nous parvient pareille à un reflet légèrement déformé des chemins arpentés récemment par Jean-Charles Hue ou Virgil Vernier. Lupino s’inscrit là, à la croisée d’un onirisme américain et d’une recherche mythologique sur les territoires à la marge des communautés oubliés de France.
MP
Fétichisme podal
Au-delà de sa relecture queer du conte de Charles Perrault, Boa Noite Cinderella sidère tout d’abord par sa beauté plastique envoûtante. Le film avance, bougies en main, à la lisière de la forêt et du fantastique. Déployant tout un jeu de clair-obscur fascinant par son amplitude dramaturgique, Carlos Conceiçao enveloppe son film d’un léger voile politique en misant sur les rapports de forces entre ses personnages. Il reprend la trame initiale de Cendrillon mais en propose un sous-texte dont l’originalité n’est pas la moindre des qualités : dans un château, une jeune femme dévale les escaliers et en oublie son soulier de verre. Le film ne se placera alors que du point de vue du prince et de son valet. Cette relation étrangement érotique et toxique entre les deux hommes conduira le récit qui omettra les affres de Cendrillon en la plaçant volontairement à la marge de l’intrigue. Au centre de leurs obsessions se trouve la pantoufle de verre qui deviendra rapidement la source de leurs questionnements existentiels avant de se transformer en un éloge flamboyant du fétichisme podal. S’amusant de ses provocations sexuelles, comme cette séquence de bondage que s’inflige Cendrillon dans les bois, Boa Noite Cinderella avance, sous ses airs dandys, dans le plaisir du scandale qu’il pourrait provoquer… sauf que le film a l’intelligence de désamorcer constamment ses enjeux théoriques revendiqués (à l’instar de cette citation de Karl Marx sur la conscience de classe qui ouvre le moyen métrage) en instaurant un second degré qui doit beaucoup aux jeux distanciés mais malicieux des acteurs. L’excentricité assumée du film de Conceiçao, malgré des digressions narratives parfois alambiquées, lui confère un charme indéniable et donne envie de suivre le parcours du jeune Portugais.
MP
Archipel nitrate
Alors que le tournage en numérique est devenu la norme, la forte présence des films en super‑8 ou super-16 dans la compétition est d’autant plus remarquable. Pellicule trouvée dans Motu Maeva de Maureen Fazendeiro qui utilise les images super‑8 filmées au gré de l’existence de Sonja, néerlandaise qui a parcouru le monde aux côtés de son mari militaire, et fait le récit, en off, d’un idéal de liberté de mœurs. Dans cette cartographie du souvenir aux coutures apparentes, marquées par les perforations de la pellicule qui occupent le côté de l’écran, la mémoire n’est pas chronologique, mais saute d’une bobine à une autre, enjambant les continents et les époques au gré des images.
Images filmées au fond d’une mine ukrainienne, dans Vous qui gardez un cœur qui bat de Antoine Chaudagne et Sylvain Verdet. De cette plongée sous terre reviennent les images des halos des lampes frontales, des douches des corps noircis, mais aussi le souvenir du collègue mort enseveli sous le charbon. Ce souvenir prend corps dans les chansons et poèmes que déclame l’un des vieux mineurs, tandis qu’un plus jeune confie à la caméra le désir de quitter la mine pour rejoindre en Crimée sa petite amie rencontrée sur internet. C’est avec le grain de la pellicule qu’on découvre les images de cet ailleurs, filmé sur l’ordinateur portable de Slava.
RP
La Terre penche de Christelle Lheureux : la vie est un songe
Mais c’est aussi au cœur de la fiction d’apparence classique que l’utilisation de la pellicule vient se nicher. Après avoir longuement séjourné en Asie, Thomas revient hors saison dans la station balnéaire de sa jeunesse pour régler des affaires familiales après le récent décès de son père. Il revoit furtivement Loïc, un ami de lycée, puis Adèle, agent immobilier narcoleptique à qui il fait visiter sa maison de famille qu’il se souvient vaguement avoir côtoyé de loin dans ses jeunes années.
La fiction naturaliste – ce qu’il y a de plus visible et de moins intéressant dans le film – se dilue dans ces plongées récurrentes et subites de la jeune femme dans le sommeil. Car sous une couche de vraisemblance des rapports humains et des motivations psychologiques, le film cache un enchâssement de rêveries, fantasmes, imaginations qui le font basculer dans une atmosphère cotonneuse. Empruntant des chemins de traverse, le film s’obstine à ne pas avancer, mais se dédouble et se répète, allant jusqu’à s’offrir deux conclusions différentes. L’Asie évoquée par Thomas prendra corps en pleine baie de Somme sous plusieurs visages, et les relations amoureuses manquées se réincarneront ou se réinventeront autour des personnages présents. La présence de fantômes – ceux du passé, ceux de la pensée – passe par ces soubresauts du récit qui divague, mais aussi par la texture de la lumière, magnifiquement filmée par Antoine Parouty, qui fait passer des rayons de soleils mouvants sur les corps allongés sur la plage, ou qui plongent Thomas dans le noir absolu d’une route de campagne dont on devine qu’il constitue encore un détour par une strate du passé.
RP
M (Madeira) : l’artifice de la sensation
Paradoxalement, le film expérimental de la sélection n’use pas, lui, de la pellicule comme matériau de travail, mais l’image numérique. Jacques Perconte a réalisé M (Madeira) alors qu’il était l’invité du Madeira Film Festival. Portrait documentaro-expérimental de l’île, le film est constitué de plans d’ensemble fixes qui embrassent le paysage et effectuent progressivement le tour de l’île.
« Je joue avec et contre la technologie », dit Jacques Perconte. C’est en combinant ses images encodées de différentes manières, en les compressant et décompressant qu’il les transforme, en faisant ainsi une matière première aussi malléable que la peinture.
La distorsion de l’image, triturée numériquement, la détourne de son unité pour en faire un ensemble composite de couleurs et de pixels. Proches d’une représentation cubiste, le paysage prend une profondeur, un mystère qui redonne à chaque succession d’un plan à un autre, à travers des fondus enchaînés [[Après publication de ce compte-rendu, Jacques Perconte apporte les précisions techniques suivantes : « Il n’y a aucun fondu enchaîné dans mon film, ce ne sont que des glissements de plans dus à la compression vidéo manipulée. Ainsi les images d’un plan nouveau émergent par le mouvement des
éléments de l’image parmi les artefacts du plan précédent. On peut avoir l’impression que ce sont des fondus. Mais dans la réalité, ce sont des cuts « perméables »]], tout son sens au mot apparition. Avec un effet d’attraction foraine, le passage d’un plan à un autre suscite une curiosité, une attente, un émerveillement qui font penser aux murmures des premiers spectateurs du cinématographe Lumière : « même les feuilles des arbres participent au spectacle ».
Dans son périple autour de l’île, Perconte a longuement cherché le cliché qu’il avait en tête avant son séjour, celle des paysans qui cultivent les champs en terrasse. Mais le rythme des festivaliers n’étant pas celui de l’agriculture vivrière, il lui fallut longtemps pour les trouver. De fait, la présence des hommes se fait attendre dans le film qui n’offre d’abord que des tableaux de champs, fixes, mais mouvants qui évoluent dans leur durée comme dans les variations que produisent la pixellisation de la surface de l’image. Ramenés sur un même plan par le jeu des fondus enchaînés, les hommes et la terre qu’ils travaillent ne font plus qu’un, finissent par fusionner dans le regard du spectateur.
L’artifice de la reconstruction du paysage, de la bande sonore, elle aussi retravaillée à partir de matériaux composites, et l’apparition des paysans qui façonnent la terre construisent un système de sensation démultipliée du paysage.
RP
La grande extase du cinéaste Herzog
C’est avec un grand saut dans le vide qu’Elsa Charbit avait choisi d’ouvrir ces onzièmes Rencontres du Moyen Métrage de Brive : celui de Walter Steiner, sauteur à ski filmé lors d’une compétition par Werner Herzog en 1972 dans La Grande Extase du sculpteur sur bois Steiner. Le champion suisse accomplit des performances tellement inouïes qu’il dépasse la longueur de la piste à chaque saut, mettant ses jours en danger, mais touchant aussi à la limite de la discipline sportive. Mais si Steiner semble bien plus prendre son envol, dans un geste d’une absolue beauté, c’est aussi car Herzog parvient à filmer ce saut dans tout ce qu’il a d’excessif.
Face à cet athlète hors du commun, Herzog, ancien pratiquant de cette discipline sportive (dont il a même pensé à faire son métier jusqu’au grave accident d’un ami), met en place un dispositif technique à la hauteur de l’athlète dont il entend faire le portrait en action et se met en scène lui même, sorte de super journaliste qui ferait mieux que toutes les équipes réunies pour l’événement. Les plates images de retransmission de l’événement prêtées par la télévision yougoslaves vont rapidement être remplacées par celles d’Herzog, qui usent du ralenti et du cadrage, pour donner à sentir combien l’athlète vole bien plus qu’il ne saute.
Si Steiner pratique la même discipline que ses concurrents, il la hisse à un niveau métaphysique, celui du désir qu’a l’homme de défier la gravité pour se hisser dans les airs. Alter ego du cinéaste, Steiner est aussi celui qui lui permet de créer des images au plus proche de ses préoccupations. Intégrant du matériau emprunté à la télévision yougoslave, Herzog montre aussi l’écart qui sépare les « faiseurs » d’image du cinéaste qu’il est, capable de traduire visuellement le désir de voler.
Tout autrement, Herzog intègre à Gasherbrum des images tournées par un autre que lui : dans ce portrait en action de Reinhold Messmer, Herzog laisse à l’extraordinaire alpiniste, le premier à avoir conquis l’ensemble des sommets 8000m, le soin de filmer l’ascension finale. En les intégrant au montage du film, Herzog ne les confronte pas aux siennes comme avec celles de la retransmission télévisée. Au contraire, il les accueille avec bienveillance, comme un juste retour des choses envers celui qui l’a entraîné avec lui au sommet du Gasherbrum, se hissant au dessus des villes pour atteindre cette étendue blanche à perte de vue, comme un signe de partage avec l’alpiniste, auquel il confie faire le même rêve récurrent que lui, et avoir la même obsession de défier la mort.
Dans ces deux portraits en miroir, Herzog se projette en ceux qu’ils filme, cherchant comme eux l’extase, la plénitude de se sentir hors de soi, comme si faire des films, était, tout comme l’alpinisme ou le saut à ski, une façon de braver la mort pour éprouver plus intensément la vie.
« J’irai jusque dans l’espace pour tourner des images inédites s’il le fallait », disait Herzog dans Tokyo-Ga de son compatriote Wim Wenders : l’obsession du cinéaste d’aller filmer au bout de territoires était présente dans les quatre moyens métrages présentés en partenariat avec Potemkine (éditeur d’une intégrale chronologique du cinéaste, en trois volumes). Cinéma des confins, ceux de la civilisation dans le désert aride où le peuple Wodaabe lutte pour sa survie ; ceux de l’humanité dans le paysage lunaire de Leçons des ténèbres, où le cinéaste filme les puits de pétrole mis à feu par les Américains à la fin de la guerre du Koweit, le cinéma de Herzog cherche à faire du réel un décor de science-fiction, d’un exploit sportif un geste profondément métaphysique et des images une façon d’affronter la mort.
RP
Transition théâtrale
En 1934, alors qu’il est encore le directeur de l’Altes Theater de Leipzig, on propose à Douglas Sirk de monter La Nuit des rois de Shakespeare à la Berlin Volksbühne qui était une des plus grandes scènes de Berlin. Surprise de la part de Sirk dont la femme est juive : le directeur de ce théâtre est quelqu’un d’important chez les S.S. Étrangement, des producteurs de la UFA se présentent à l’une des représentations pour engager Douglas Sirk qui accepte par envie d’entrer dans le monde du cinéma et ainsi se reconstruire un personnage totalement différent de celui du milieu du théâtre où ses problèmes avec la politique d’Hitler sont notoires. Il faut dire qu’en 1934 – 1935, la situation du cinéma était incomparablement meilleure à celle du théâtre : la UFA était une compagnie privée dont les ouvriers et les techniciens étaient généralement antinazis. Une fois embauché, Sirk se doit de réaliser trois petits films commandés par le chef de la production cinématographique : Le Malade imaginaire, Deux génies et Trois fois un mariage. Dans ses entretiens avec Jon Halliday (éditions Cahiers du Cinéma) parus dans leur première version en 1971, Sirk ne se rappelle que du dernier de ces films et ne garde aucun souvenir des deux premiers. C’est cependant Le Malade imaginaire et Deux génies qui ont été montrés à Brive, soit donc les deux toutes premières réalisations de Sirk. D’une durée respective de 36 et 29 minutes, tous deux mettent en scène l’acteur Hans H. Schaufuss. Il joue tout d’abord un truculent Monsieur Popinot dans une adaptation enlevée de la fameuse pièce de Molière. Même si Le Malade imaginaire offre de belles scènes, notamment une séquence de chant formidablement découpée, il serait absurde d’y chercher des éléments précurseurs du style du futur roi du mélodrame hollywoodien. D’autant plus que le film est constamment brisé dans sa force de mise en scène par les prérogatives narratives afférentes aux adaptations théâtrales. Film de transition où Sirk metteur en scène de théâtre devient Sirk cinéaste, Le Malade imaginaire ne vaut alors principalement que pour sa direction d’acteur à la fois excentrique et maîtrisée, où transparaît déjà le plaisir de Sirk à filmer des êtres pris dans leurs contradictions morales.
Le film suivant, Deux génies, pourrait se résumer, en partie, à son pitch de sketch abracadabrant : deux hommes fauchés briguent un poste de comptable dans une petite entreprise. À la suite d’un quiproquo, ils se prennent mutuellement pour le directeur de la firme, vont se flatter mutuellement, jusqu’à l’absurde, pour s’octroyer les faveurs de l’autre et iront benoîtement entreprendre des magouilles douteuses. Deux génies se conclut ainsi en une satyre féroce du milieu de la bourse et des affaires sous le régime de Weimar, qui élève le film au-dessus de la simple pochade boulevardière ou, c’est selon, de la franche comédie savamment retroussée. Les deux acteurs y cabotinent à qui mieux mieux, dans un exercice joyeux de leur propre mise en scène s’arrimant, en bout de course, aux cruautés arbitraires de la tragédie.
MP
Nouvelle Vague
En 1960, Paul Verhoeven a 22 ans et poursuit ses études de mathématiques à l’Université de Leyde. Il a déjà réalisé avec des amis quelques courts métrages amateurs et a même débuté la toute récente école de cinéma d’Amsterdam, mais est forcé, sous la pression parentale, de ranger au placard ses aspirations artistiques pour se consacrer à la voie royale des recherches scientifiques. Or, l’association des étudiants de Leyde décide, en vue de célébrer son anniversaire, de produire un court métrage dont elle confie la réalisation au jeune Paul Verhoeven sur la suggestion du critique de cinéma le plus influent de La Haye, Monsieur Broomstaide, qui a ainsi nommé toute l’équipe technique sur les talents de chacun. C’est ainsi que Verhoeven, élu tel le Christ, remet le pied à l’étrier de la réalisation – il considère encore aujourd’hui qu’il s’agit du jour le plus important de sa vie – et rencontre alors son futur meilleur ami, Jan van Mastrigt. Celui-ci deviendra son scénariste attitré sur ses courts métrages jusqu’à son suicide en 1964 qui éloignera quelques années Verhoeven de la mise en scène, incapable de se remettre de cette perte tragique. Réalisé avec les moyens du bord, Un lézard de trop frappe tout de suite par ses influences que la mise en scène de Verhoeven (au style honnêtement méconnaissable) assume et digère grâce à une inventivité de tous les instants : les longs monologues du film, clairement inspirés d’Hiroshima mon amour que Verhoeven avait découvert l’année précédente à Paris lors de sa sortie en salles, s’accommodent plaisamment de certaines références bergmaniennes explicites (notamment à Sourires d’une nuit d’été réalisé par le maître suédois en 1955) comme l’utilisation des reflets d’un miroir pour cadrer au plus près le visage de son jeune acteur et de ses deux actrices. L’une blonde, l’autre brune, elles sont l’expression d’un pur fétichisme hitchcockien qui ne quittera jamais les obsessions du « Hollandais violent » – on n’a qu’à songer aux sueurs froides provoquées par Basic Instinct ou à la rivalité tranchante entre Nomi Malone et Cristal Connors dans ce chef d’œuvre mal-aimé qu’est Showgirls.
Tout au long des 35 minutes jazzy d’Un lézard de trop, Verhoeven exorcise ainsi le poids de ses pères de cinéma tout en mettant en balance, par l’entremise du portrait mental d’un jeune sculpteur confronté à ses choix sentimentaux, l’ambiguïté existentielle et cathartique au cœur de toute création artistique. Il réalisera ensuite La Fête en 1962 où il réinvestit le milieu universitaire en dessinant les chassés-croisés amoureux de deux étudiants en art qu’une fête réunit. Clairement sous l’influence de la Nouvelle Vague française et de ses tournages sauvages dans la rue, La Fête se conclut en une scène d’humiliation sentimentale où transparaît déjà ainsi un des futurs motifs de Verhoeven.
MP