Que faire après Intouchables ? Rappel : il y a deux ans, après un début de carrière poliment remarqué dans la comédie de bande que la suite de l’histoire aura tôt fait de renvoyer aux oubliettes, le tandem Nakache/Toledano réussit le casse du siècle. Inutile de revenir en détail sur l’addition ; s’il ne fallait retenir qu’un seul chiffre, mettons par exemple qu’Intouchables est aujourd’hui devenu le plus grand succès mondial non anglophone all-time. Samba n’a peut-être pas les armes pour rééditer l’exploit, mais ne peut pas totalement ignorer qui est son grand frère.
En fait, on ne peut même que le rappeler au moment où sort ce cinquième (mais dans le cœur du box-office, deuxième) film dans la mesure où, par ce tour de magie que sociologues et économistes n’ont pas fini d’analyser, les deux coréalisateurs se sont tout à coup retrouvés drapés d’un statut de toutou bling-bling plutôt unique voire inédit en France, statut qui n’est ni celui de Dany Boon, ni celui des stars de Canal en leur temps, ni de Bourvil ou de Louis de Funès ; bref, de personne, dans ce pays où l’on passe rarement les dix millions d’entrées sans empiler, pour le meilleur ou pour le pire, les grossièretés. Surtout dans les dernières années, voire les derniers mois, le profil-type du blockbuster hexagonal est celui d’un repoussoir cathartique, bourgeois et raciste, suintant l’acide. On y rit fort et méchamment, un peu contre le film, un peu même contre soi ; hélas même souvent, on y rit assez peu.
Toledano et Nakache, quant à eux, ne font pas dans le film-répulsion mais dans le film-pommade, tendrement appliqué sur les cicatrices de cette France qui vient les voir toujours plus nombreuse, et plus ils abandonnent la comédie (ce qu’ils avaient déjà un peu entamé avec Intouchables), plus cela se voit. Le style ne grince pas, il est propre et fluide ; pour preuve, le parallèle évident qui lie Samba à Supercondriaque, sa version crado. Les deux films mettent en scène l’immigration clandestine. Dany Boon l’écrase sur le paillasson de son appartement du Champ-de-Mars, Toledano et Nakache la prennent sous leur aile avec une condescendance suspecte, à la façon d’une petite fille de la haute qui s’enticherait d’altermondialisme – personnage assez archétypal que les deux films partagent.
Film-pommade
Bien sûr, dans Samba, l’immigration clandestine n’est même pas cachée par un macguffin idiot comme l’hypocondrie : elle est le sujet central du film, le fait social qu’il propose de rendre un peu féérique, même s’il faut bien que ce soit un peu voire très dur aussi (Intouchables, encore une fois, faisait la même chose avec les inégalités de richesse). Là-dessus, on est tenté de reconnaître au tandem de réalisateurs une certaine volonté d’aborder des problématiques difficiles. Sauf que l’intérêt, s’il en est un, du cinéma de Toledano et Nakache n’est évidemment pas de sensibiliser la France à la misère. Qui ira voir Samba pour tomber des nues en découvrant la situation des sans papiers ?
L’intérêt, et c’est un intérêt du moins pire certes, mais auquel il faut reconnaître une réussite très rare dans le paysage du blockbuster national, est celui d’un certain américanisme, une sorte de liquidité du récit qui fait couler tous les genres sans faire jurer les couleurs : le mélo, bien sûr, mais tout à la fois la comédie romantique, le film social, autant de choses que le cinéma populaire français a souvent beaucoup de mal à mêler puisqu’il cède facilement à la panique, et se met à gesticuler, à faire des plaisanteries inutiles, à parler fort. Samba a de la tenue, une conduite droite, des angles arrondis (parfois un peu trop : on ne saurait que trop conseiller à Toledano et Nakache de congédier leur compositeur attitré Ludovico Einaudi qui, lui, ne fait pas dans la pommade mais carrément dans la morphine et le Xanax). Il est l’œuvre d’artisans rompus à la comédie mais très à l’aise dans la diversification, et malins dans l’attisement du bouche à oreille : sans doute le film risquait-il d’être trop mélodramatique pour ne pas y mettre une pincée de feel good movie, et l’on sent bien que le strip-tease de Tahar Rahim sur la nacelle des laveurs de carreaux est là pour ça. Quoi de mieux pour haranguer la foule que le remake d’une pub Coca-Cola ?
Et qui de mieux pour incarner cet américanisme qu’Omar Sy ? Samba arrive juste à temps pour justifier l’espèce de scoop du Gorafi qu’avait été l’annonce d’une carrière hollywoodienne : quoi, Omar en X‑Men puis dans Jurassic World ? C’est qu’ici justement, et pour la première fois de sa carrière, l’acteur compose avec précision, ne libère pas une seule fois son célèbre rire sonore, et reste étonnamment en équilibre sur une corde très raide – un fort accent africain, il fallait oser. Il rappelle plus Idris Elba que ses sketches du SAV des émissions.
Bien sûr on est en droit de se poser des questions : l’acteur y met de la pudeur, mais c’est un peu le cache-sexe de ce que le rôle a d’intrinsèquement diminuant pour lui. Plus largement, le film fait la même chose : il caresse, il glisse, il se montre souriant et serein comme les affiches montrant en gros plan les visages harmonieux des quatre personnages principaux. On est encore libre de l’oublier dans deux semaines, si le box-office nous permet de le faire, mais si au contraire Samba réédite l’exploit d’Intouchables, l’on pourra au moins dire que pour une fois, un mastodonte du box-office français ne nous aura pas fait rougir de honte.