Après le carré, le triangle : Ruben Östlund continue de circonscrire géométriquement les travers du monde contemporain avec un film qui, comme le précédent (auréolé, on le rappelle, d’une Palme d’or), dessine deux voies inégalement convaincantes. Triangle of Sadness confirme le talent d’Östlünd pour aménager des situations à partir desquelles la mise en scène cultive un humour acide. On pense notamment à la première partie, articulée autour de la dispute d’un couple d’influenceurs, où le découpage organise avec précision le tempo de la brouille (petits blancs, flottements et changements de vitesse). Mais son cinéma souffre toujours de son penchant moraliste, en même temps qu’il semble incapable de fleurir en dehors du cadre délimité d’une « situation installation » exploitée de fond en comble, quand bien même certaines attestent, il faut le dire, d’un réel sens rythmique de la comédie. Si le segment consacré à une croisière chaotique accueille quelques saillies parfois très drôles (la joute oratoire entre le capitaine du yacht, Américain marxiste, et un Russe capitaliste), il plie sous le poids d’un symbolisme matraqué et d’un cynisme ricanant qui dominera le dernier temps du film, resserré sur un décor (une île) qui semble beaucoup moins inspirer le réalisateur. À force de mettre tout le monde dos à dos, la farce finit d’ailleurs par tourner en rond, au point qu’Östlund, en panne sèche, semble ne pas savoir comment boucler son récit.