Impeccable bricoleur fou qui tire de son petit atelier des idées pleines de papier mâché, d’aluminium et autres bouts de ficelle pour nous embarquer loin, très loin dans son imaginaire, Michel Gondry s’affirme de film en film comme une sorte d’équivalent frenchie et lumineux de Tim Burton. Les deux cinéastes ont en commun des univers visuels immédiatement identifiables qui, bien que diamétralement opposés, ouvrent au public une porte vers l’enfance, sans mièvrerie ni condescendance, invitant le spectateur à faire des allers-retours entre passé et présent et à se délecter d’une nostalgie tout sauf passéiste. La comparaison s’arrête là, mais elle permet de donner une idée de la tournure que pourrait prendre la carrière de Gondry dans les années qui viennent : combien de temps avant qu’un studio ne lui propose l’adaptation cinématographique des aventures d’un superhéros ?
Soyez sympas, rembobinez, le quatrième long métrage de Michel Gondry, pourrait cependant calmer certains producteurs dans leurs ardeurs : à voir le traitement que réservent les personnages principaux à SOS Fantômes et Robocop via des remakes amateurs impayables, les gros pontes d’Hollywood risquent fort d’être sceptiques devant la Gondry’s touch. Le scénario, signé Gondry lui-même, est un poème à lui tout seul : dans une petite bourgade des États-Unis, deux potes un peu bas du front, Jerry et Mike, sont chargés de veiller le temps d’un week-end au bon fonctionnement d’un vidéo-club en piteux état, spécialisé dans la location de vieilles K7. Suite à un accident, Jerry démagnétise toutes les vidéos. Pour satisfaire à la demande des rares clients, dont une vieille habituée, les deux compères décident de retourner eux-mêmes les films avec les moyens du bord.
Après un détour par Paris pour son précédent film, le mélancolique La Science des rêves, Michel Gondry signe une comédie pure qui, sur le papier, semble surtout servir de véhicule à la star comique Jack Black. Mais il ne faut pas se fier aux apparences : sous l’humour potache se cache une oeuvre éminemment personnelle, qui par un gimmick astucieux – retourner façon YouTube une poignée de scènes cultes de films célèbres – offre au réalisateur la possibilité de rendre hommage à une cinéphilie bis qui ne cesse d’inspirer de nombreux cinéastes, Tarantino en tête. Il faut voir Jack Black – totalement survolté – et Mos Def utiliser tout ce qui leur passe sous la main (guirlandes, pizzas, carton, chat, etc.) pour réinterpréter SOS Fantômes dans une bibliothèque publique pour s’en convaincre : Michel Gondry est un cinéphage complètement dingue, capable de passer tout un pan de la culture mainstream à la moulinette de son univers artisanal et décalé.
La douce folie qui habite le film pourrait rapidement tourner à vide si le film ne débordait pas de cette touchante sincérité qui habite toutes les œuvres du cinéaste depuis Human Nature en 2001. De l’amoureux transi et dépressif incarné par Jim Carrey dans Eternal Sunshine of the Spotless Mind au graphiste rêveur et angoissé joué par Gael García Bernal dans La Science des rêves, Gondry projette dans ses personnages une part importante de lui-même. Les deux loufoques de Soyez sympas, rembobinez n’échappent à la règle : il y a autant du Gondry allumé période Oui-Oui (groupe rock des années 1990 dans lequel il était batteur) dans le personnage de Jack Black que du Gondry mi-adulte (le devoir et les responsabilités), mi-enfant (la timidité) dans celui de Mos Def. Il faut voir surtout, à travers le parcours de ces deux losers magnifiques qui trouvent un sens à leur vie en bricolant des films dans leur coin (et vont gagner de plus en plus de fans), le Michel Gondry cinéaste qui considère toujours son métier comme un vaste terrain de jeux et semble constamment surpris qu’un public soit prêt à le suivre dans ses délires.
Il y a dans Soyez sympas, rembobinez un autre Michel Gondry, moins connu mais pas moins passionnant : l’amateur de culture black, fan de soul, de blues, de jazz et de hip hop, fasciné par la chaleur et la solidarité qui peuvent se dégager de l’esprit communautaire. En 2006, Gondry signait avec Block Party un documentaire sur un gigantesque concert soul/hip hop organisé à Brooklyn par le stand up comedian Dave Chappelle avec les pointures du genre (Lauryn Hill, Kanye West, Erykah Badu, Jill Scott… et Mos Def). Pas étonnant, alors, de retrouver dans ce nouveau film l’idée que la communauté (très cosmopolite) de ce petit quartier se mobilise autour d’un projet artistique commun qui sert à la fois à sauvegarder le patrimoine local et la mémoire collective : pour sauver le petit immeuble vétuste qui abrite le vidéoclub des griffes de promoteurs véreux, le quartier entier va participer à la création d’un long métrage mettant en scène la vie – plus ou moins réinventée – d’un célèbre jazzman qui aurait vécu dans les lieux. L’on retrouve alors l’essence même de ce qui fait le charme du cinéma de Michel Gondry : peu importe les moyens dont on dispose, l’important est de mener un projet à terme, d’aller jusqu’au bout de sa vision et, si possible, en équipe – c’est plus drôle et plus efficace.
Le partage et le travail collectif érigés en valeurs ultimes contre les intérêts égoïstes des puissants capitalistes… La morale peut paraître gentiment naïve, mais Gondry ne cherche pas à élever son film au-delà du conte moderne, déclaration d’amour à la puissance du rêve et à son vecteur le plus populaire depuis plus de cent ans : le cinéma. À ce titre, la dernière scène est une merveille de poésie qui réinvente à sa façon la magie de la découverte du 7e Art par un public acteur et spectateur à la fois. Merveilleuse passeuse, Mia Farrow (qui joue un petit rôle clé) illumine par sa présence singulière ce bel hommage de la même façon qu’elle inspirait à Woody Allen, dans La Rose pourpre du Caire et, dans une moindre mesure, Zelig, une réflexion ludique et enchantée sur le pouvoir des images et du cinéma.