En l’espace de trois films, Im Sang-soo est devenu en France l’une des figures emblématiques du cinéma sud-coréen. Sélectionné en compétition officielle, son sixième long-métrage, The Housemaid frôle pourtant le ratage presque total : grandiloquence, personnages caricaturaux, froideur empesée et poseuse. Reste l’implication des acteurs, plutôt bons, que ne vient malheureusement jamais relayer l’obsession pour la maîtrise formelle.
Hera et Hoon forment en quelque sorte le couple idéal. Jeunes et beaux, ils vivent dans une somptueuse demeure quelque part en Corée du Sud. Elle est enceinte jusqu’aux dents (mais fait sa gym quotidienne pour pouvoir accoucher naturellement) et lit Simone de Beauvoir à ses heures perdues. Lui boit du vin français et joue tous les matins du Beethoven sur le grand piano du bureau. Ensemble, ils écoutent Maria Callas, font l’amour autant qu’ils peuvent et élèvent accessoirement une petite fille dont le calme olympien laisserait craindre un machiavélisme digne des têtes blondes du Village des damnés. C’est dans ce cadre pour le moins figé qu’arrive la nouvelle domestique, Euny (Jeon Do-youn, consacrée par son rôle dans Secret Sunshine), jeune femme ingénue qui n’imagine pas un seul instant dans quel enfer elle vient de plonger. Le spectateur, quant à lui, n’est pas non plus au bout de ses peines.
Avec déjà cinq longs-métrages à son actif, Im Sang-soo s’est surtout fait connaître en France grâce à ses trois derniers films : Une femme coréenne (2003), The President’s Last Bang (2005) et enfin Le Vieux Jardin (2006). À travers ses œuvres, le réalisateur faisait preuve d’un intérêt particulier à mêler la petite histoire et la grande. Progressiste, il a toujours apporté un soin particulier à défendre une certaine forme de libéralisation des mœurs tout en rappelant les graves dérives politiques dont son pays fut l’objet à la fin des années 1970 et au début des années 1980. Avec The Housemaid, le réalisateur souhaitait certainement dépasser ce qui fit la marque de ses précédents films en s’attaquant désormais aux nouvelles valeurs d’une société hypocrite et délétère où l’argent-roi sclérose tous les rapports humains. Première victime de ce système, Euny subit les petites humiliations quotidiennes de la part d’un foyer où l’homme abuse de sa naïveté pour coucher avec elle et où la femme se prend pour une grande dame en lui apportant la considération à laquelle sa classe ne l’obligerait pourtant pas.
Malheureusement, le problème du réalisateur est certainement d’avoir voulu en faire trop, notamment en typant lourdement ses personnages. Un excès du détail fait vite poindre la caricature. Par exemple, l’érudition du couple de bourgeois et le respect d’un certain nombre de conventions sont lourdement mis en opposition avec leurs petites perversités quotidiennes qui font d’eux des êtres capables de composer sans scrupule avec leur morale et leur conscience. Et pour insister sur la lourdeur du carcan social qui semble à ce point tout déterminer, Im Sang-soo n’hésite pas à avoir la main lourde en filmant l’austérité écrasante des lieux ou en introduisant le machiavélique personnage de la belle-mère, prête à tous les stratagèmes pour préserver les apparences. Les excès démonstratifs du film atteignent certainement leur apogée lors d’un dénouement d’une grandiloquence à la limite du ridicule, faisant de son héroïne une martyre hystérique de la classe opprimée, mais seulement pour le symbole.
Car c’est bien là que réside le principal problème de The Housemaid : jamais l’émotion ne pointe malgré les louables tentatives de l’actrice principale. Les personnages ne s’incarnent jamais, ils ne sont que les malheureux pantins d’un petit théâtre prétentieux où la sur dramatisation ne cache que très difficilement une certaine vacuité du propos. Pourtant, Im Sang-soo n’est pas un cinéaste qu’il faut négliger pour autant. Sa manière de filmer les corps et son attachement à rendre politique chaque petite cruauté quotidienne laissent espérer que The Housemaid ne soit qu’un accident de parcours où la trop grande attention apportée à la forme serait la principale raison de cette sclérose quasi généralisée.