Dans les années 1960, un groupe de scientifiques aurait construit et lancé une fusée au Liban, avant que le gouvernement n’intime l’ordre de se cesser ces recherches spatiales. Depuis leur présent, les cinéastes et artistes Khalil Joreige et Joanna Hadjithomas cherchent des traces de cet épisode passé, et imaginent en quoi il aurait pu changer le destin de leur pays.
Comment faire un film sur un sujet dont il ne reste aucune trace, aucun souvenir, pas d’archive ? C’est par cette question que commence The Lebanese Rocket Society, qui cherche à retracer l’aventure spatiale menée par un groupe d’étudiants de l’Université Haigazian de Beyrouth autour de leur professeur de mathématiques Manoug Manougian dans les années 1960. Les deux réalisateurs, apprenant que cette équipe avait conçu, puis tenté de lancer des fusées, se lancent dans une enquête sur cette réalité refoulée du passé. Les archives libanaises du film aux conditions de conservation pour le moins aléatoires, l’absence de souvenir de leurs proches, les appels à témoins lancés à la radio et restés lettre morte ne découragent pas les cinéastes. Enfin, la rencontre avec un photographe leur offre des images de l’événement, mais se morfond de n’avoir immortalisé de l’un des lancements d’une fusée que le panache de fumée laissé sur son passage. La trace de la trace, voilà pourtant bien ce qui nourrit le film.
Remontant la piste jusqu’à Manoug Manougian qui a conservé toutes les archives du projet qu’il a lancé, Joreige et Hadjithomas accèdent aux images du passé, qu’ils observent en les recontextualisant sans cesse depuis leur présent.
Car ce n’est pas seulement la dimension scientifique du projet qui travaille The Lebanese Rocket Society, mais également la part de l’imaginaire collectif qui a projeté, dans une période d’idéologie intense, la nation libanaise au-delà de ses propres frontières. Plus encore, ce qui questionne les cinéastes qui, par leur voix-off, ne cessent de s’inclure dans cette histoire commune, c’est l’amnésie totale qui frappe tout un peuple au sujet d’un phénomène qui pourrait être source de fierté. Ce sentiment de gloire nationale semble s’exprimer par la forte présence de la musique, aux accents héroïques, qui s’inscrit tout à fait dans une histoire de conquête, mais qui détonne dans ce type de documentaire.
En s’inscrivant personnellement dans cette histoire utopique qui voudrait projeter le Liban au delà de ses frontières, les cinéastes sortent des clous de leur projet historique tout en se réappropriant la dimension créatrice du projet initial. Naît en effet l’idée de rendre hommage aux scientifiques oubliés, dont l’inventivité allait même jusqu’à concevoir un combustible capable de lancer les fusées, et l’abnégation jusqu’à y plonger les bras pour le mélanger. C’est alors que commence la seconde partie du film, qui raconte les démarches invraisemblables accomplies pour obtenir l’autorisation du gouvernement de reconstruire la fusée du passé, non pas pour l’envoyer en orbite, mais pour lui faire traverser Beyrouth, afin de l’exposer dans l’Université qui l’a vue naître.
Construit en trois parties, le film s’attache ensuite, sous forme d’animation, à imaginer quel aurait pu être le destin d’un Liban qui aurait poursuivi son rêve spatial. Entre documentaire, installation et science-fiction, Joreige et Hadjithomas réveillent la conscience collective d’un pays surtout marqué l’histoire de ses guerres, et dans lequel il est difficile de faire circuler une fusée longue de plusieurs mètres sans évoquer le souvenir des missiles. Mais il se prolonge, aussi, dans un projet artistique global qui se décline autour de la fusée reconstruite, de séries photographiques, ainsi que l’intégralité du disque d’or élaboré inspiré d’archives sonores des années 1960 et dont une partie seulement est présentée dans le film. Entre réel et imaginaire, passé et futur, histoire personnelle et collective, entre cinéma et art contemporain, The Lebanese Rocket Society dépasse sans cesse ses propres bornes, au prix, parfois, de se présenter comme la note d’intention d’un projet artistique et de donner l’impression de n’être pas tout à fait abouti.