On prend les mêmes et on recommence : cinq ans après Tournage dans un jardin anglais, Michael Winterbottom réunit, pour la seconde fois, Steve Coogan et Rob Brydon dans leur propre rôle pour un road-movie culinaire dans la campagne anglaise qui se fait l’occasion d’un conflit d’amour-propre tragi-comique.
À un moment où la carrière des deux stars britanniques se trouve en légère perte de vitesse et qu’ils menacent de virer has been, Winterbottom leur offre avec The Trip un espace où exercer leur cabotinage d’acteurs comiques frustrés. D’ailleurs, de quelle nature est cette frustration ? Pour Coogan, on le comprend rapidement, elle est de ne pas faire de cinéma. « I want to be in films ! » assène-t-il à son agent outre-Atlantique. On entrevoit ici l’éternel complexe du comedian qui voudrait bien devenir un vrai actor et décrocher, pourquoi pas, un oscar. En cela, le film est intéressant parce qu’il dresse un constat plutôt triste, à savoir que la comédie n’a pas fini d’être considérée comme un genre ingrat. Mais là où le bât blesse, c’est quand Winterbottom tombe lui-même dans cette dépréciation des puissances du genre et ponctue son trip par des scènes d’émotions gratuites qui brisent littéralement la dynamique du film. On aurait apprécié plus d’insolence, mais le cinéaste nous offre à la place une comédie qui ne s’assume pas toujours et sollicite le pathos pour légitimer son existence.
Discussion entre Coogan et Brydon : le second demande au premier s’il accepterait que son fils soit malade pendant quelques jours pour décrocher un oscar ; hésitation de Coogan puis résolution morale : non quand même faut pas déconner, son fils c’est plus important. On aurait préféré, bien sûr, voir l’acteur accepter un tel compromis et le réalisateur assumer une telle inconvenance. Mais dès que les acteurs vont trop loin, Winterbottom les reprend et les replace sur les rails de la bien-pensance, jusqu’à conclure son film dans le mélodrame et nous livrer une leçon de morale dont on se serait bien passé (l’amour parental prenant le pas sur son ambition, Coogan refuse un rôle important pour la télé américaine pour ne pas s’éloigner de son fils). Le point de départ est pourtant là : la présence de Coogan et Brydon en ringards qui ne font plus rire qu’eux pouvait laisser supposer un film impertinent, mais Winterbottom les contraint malheureusement trop souvent à la politesse et à l’apitoiement et les enferme dans un scénario ronronnant.
Le film contient néanmoins son lot de scènes très drôles, mais celles-ci ont l’allure de sketches qu’on regarderait volontiers sur YouTube sans pour autant voir le film dans son entier (la double imitation de Michael Caine comptabilise déjà plus d’un million de vues sur le site nommé). Si YouTube aime à fragmenter les films pour ériger certains passages en moments d’anthologie, The Trip se prête particulièrement bien à l’exercice, ce qui nous dit quelque chose de sa forme et de sa construction. À l’image des restaurants visités par Coogan et Brydon, il y a à prendre et à laisser dans ce film, et les moments d’imitation comme celui cité font partie de ce que l’on veut bien retenir. À laisser sur le bord de l’assiette : les scènes filmées façon Les Escapades de Petitrenaud des restaurants et cuisines qui ponctuent la route des deux cabotins. Winterbottom, connu pour naviguer d’un extrême à un autre – de la comédie anglaise au thriller sudiste en passant par le drame politique – se perd un peu ici entre la comédie complexé et le reportage culinaire. On aimerait à l’avenir qu’il s’attarde un peu plus sur les possibilités du genre qu’il explore à chaque film plutôt que de les survoler. Car à force de vouloir être partout, il donne finalement l’étrange impression d’être en décalage horaire constant.