Si les deux derniers films de Winterbottom affichaient une couleur nettement politique (The Road to Guantanamo, 2006 ; Un cœur invaincu, 2007), le réalisateur ne semble pas pour autant avoir renoncé à son penchant pour l’éclectisme. Tourné sous le plein soleil de Gênes, Un été italien aborde en fait un sujet bien sombre: la douleur du deuil venant frapper un père et ses deux filles. Dérivant sans grande crédibilité ni véritable enjeu vers le thriller surnaturel, ce drame familial a bien du mal à nous maintenir dans ses filets.
Rappelez-vous ces longs trajets en voitures, vous, vos frères, sœurs ou amis à l’arrière, vous amusant de ces jeux désarmant de simplicité. Par exemple, les yeux fermés, imaginer la couleur des véhicules venant en contre-sens. Ça vous revient? Et bien c’est exactement ce à quoi jouent Kelly et sa petite sœur Mary dans la séquence d’ouverture d’Un été italien. Bizarrement à tous les coups Kelly devine juste. Sixième sens ou tricherie? Mary a beau plaquer ses mains sur les yeux de son aînée, rien n’y fait. La chance lui sourit. Rouge, gris métallisé, blanc, blanc, rouge, noir. Un jeu à vous donner le tournis. Surtout que dans l’habitacle, sous les rires, l’ambiance se fait subrepticement pesante ; la caméra de plus en plus proche des visages des deux jeunes filles et de leur mère au volant. Le cadrage est fébrile, comme à l’affut d’un danger imminent. Rouge, gris métallisé, blanc, blanc, rouge… Écran noir, crissement de pneus: le drame arrive. Bêtement. D’un geste involontairement stupide. S’il y a des jeux d’enfants qui tournent mal, ce jeu inaugural d’Un été italien tourne à la tragédie absolue. Dès lors le film se concentrera à suivre les séquelles émotionnelles laissées sur les gamines par ce matricide involontaire. Ou comment grandir de manière accélérée en risquant sûrement de s’égarer en chemin – au propre (rongée de culpabilité, Mary fugue) comme au figuré (bientôt femme, Kelly flirte).
À l’image de films récents sur le deuil (La Chambre du fils de Nanni Moretti, 2001; Sous le sable de François Ozon, 2001), Un été italien (Genova, en V.O.) insiste dans son titre sur le lieu lié à l’intolérable absence succédant à une mort brutale. Il ne s’agit ici ni du lieu intime des souvenirs, ni du non-lieu de la disparition, mais du point à partir duquel il faudra prendre un nouveau départ. L’Italie donc, comme nouveau cap. À l’écran les couleurs chaudes des ruelles étroites de Gênes succèdent ainsi à la grisaille enneigée et endeuillée de Chicago. Si Joe le père (Colin Firth) s’affaire rapidement à dispenser ses cours à l’université locale, Kelly et Mary elles ont tout le loisir de s’acclimater à leur nouvel environnement et à cette dolce vita qui devrait adoucir quelque peu leur peine. Flâneries, balades et farniente en bord de mer sont tout de même entrecoupés de leçons quotidiennes de piano. Studieuse, Mary répète avec application cet opus de Chopin sous-titré «Tristesse». Écho implicite à la tristesse sournoise qui soude les deux sœurs malgré les paroles vachardes et les non-dits? En 1984, Serge Gainsbourg s’inspirait d’ailleurs de ce morceau pour composer Lemon Incest, duo incandescent partagé avec Charlotte. C’est précisément cette chanson qu’écoute Kelly pendant l’une de ses escapades, bien disposée à s’étourdir de sexe et de musique (surtout de rock indé, Modest Mouse en tête) pour faire taire un peu cette satanée douleur tapie à l’intérieur.
Si le traitement de ce personnage de néo-Lolita nous séduit, le rôle de Mary – pardon pour sa jeune interprète – s’avère agaçant. Simplifications psychologiques (elle dessine ses « visions » à grands traits charbonneux!) et onirisme de ghost movie finissent par lasser, d’autant plus que l’intrigue tourne à vide sur la fin. On l’aura compris, ce nouvel opus signé Winterbottom nous laisse dubitatifs. Au bout du compte, s’il dévoile très certainement le fort potentiel cinégétique de Gênes, avec ses ruelles escarpées, ses monts dominant la mer, ses églises et autres sanctuaires, Un été italien s’essouffle et se perd dans les circonvolutions sans surprises de son propre scénario.