De la part du réalisateur facétieux et raffiné de Tournage dans un jardin anglais et de The Trip, l’annonce d’une adaptation de Tess d’Urberville de Thomas Hardy promettait beaucoup, d’autant plus avec l’intention avouée du réalisateur de replacer le récit dans une Inde moderne. Certes, la finesse de Winterbottom, qui avait, avec Tournage dans un jardin anglais, réussi l’une des meilleures adaptations littéraires au cinéma est présente dans Trishna, mais le film manque de ce qui faisait le sel de son adaptation de Tristram Shandy : un lien vers le cinéma qui soit autre chose qu’un simple exercice de style.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que Michael Winterbottom se refuse à être là où on l’attend. Avec son dernier film, The Trip, le réalisateur semblait revenu aux idées fines et drolatiques qui avaient présidé à la création, avec Tournage dans un jardin anglais, d’une des adaptations les plus intelligentes jamais réalisées. Autant dire que l’inventivité dont le réalisateur a su faire preuve pour son adaptation de Laurence Sterne laissait à espérer un Tess indien brillant et inattendu. Et, inattendu, Trishna l’est sans nul doute : du roman de Thomas Hardy, Winterbottom choisit de ne garder que le rapport de force entre Tess et l’un de ses nombreux amours au long du roman. Trishna n’est donc l’histoire que d’une seule romance, replacée dans l’Inde moderne.
Enfin, « moderne », comprenons-nous bien : si les images laissent entrevoir un pays à la modernité galopante, l’écriture des personnages est, quant à elle, rétrograde, emprisonnée dans une vision archaïque du couple qui rend le film profondément schizophrène. Mais peut-être cela est-il le propos même de Michael Winterbottom : l’étincelante surface d’une Inde en passe de conquérir le monde ne serait que le masque sous lequel persiste une phallocratie d’un autre âge – ou que l’on voudrait croire comme telle.
Que nous dit donc Michael Winterbottom, ici ? S’il s’agit d’adapter purement un monument de la littérature de mœurs, alors cette adaptation manque cruellement d’ampleur. Il s’agirait alors de dresser un portrait critique du pays ? Car enfin, si l’Inde est une nation-monde, et ne saurait donc être réduite aux seules images proposées par Winterbottom, il faut bien que le choix de situer le film là-bas ait un sens !
Gageons qu’il faille aller chercher les raisons de ce choix dans un désir de Michael Winterbottom de s’approprier les codes du cinéma bollywoodien. Alors, l’intensification des comportements, des pensées des personnages semble faire sens, et Trishna rappelle, à n’en pas douter, le lyrisme grandiose de la Famille indienne, d’Om Shanti Om et surtout l’ampleur dramatique, le sens d’une implacable fatalité que l’on peut trouver dans Devdas.
Loin des rodomontades visuelles indigestes de Danny Boyle dans Slumdog Millionaire, Michael Winterbottom prend donc le parti, avec Trishna, de fondre l’essence d’un classique romantique européen dans un creuset bollywoodien. En ce sens, Trishna est une réussite, de celles que l’on attend d’un cinéaste aussi foisonnant, aussi perpétuellement surprenant. Que les vecteurs de cette brillante alchimie soient deux personnages auxquels on refusera aujourd’hui de prêter foi handicape, malgré tout, sérieusement le film.