À l’approche du nouvel épisode de ses blockbusters en toc, la question se pose : Michael Bay pouvait-il être, avec ce nouveau film, aussi brouillon, vulgaire et arrogant qu’il l’avait été dans Transformers 2 : la revanche ? Et la réponse est : oui. Oui… mais. Étonnamment, Michael Bay semble capable d’apprendre de ses erreurs, ce qui n’est pas donné à tous les réalisateurs au portefeuille aussi bien garni que lui. Apprendre, donc, en nuançant certaines de ses plus grosses bêtises, quitte à – eh oui, ce serait trop beau – laisser transparaître à la place une mentalité rance et primaire, très « guerre froide ». On ne peut pas tout avoir.
Faisons donc le point : malgré une nette tendance à la surenchère, Transformers 3 voit à nouveau s’affronter gentils et méchants robots, avec la planète Terre et l’humanité au milieu, autour, cette fois, d’un artefact de grande puissance et, évidemment, la survie de la planète et la liberté de son peuple. Pourtant, après les déjà hyperboliques deux premiers épisodes, on se serait dit qu’on pouvait difficilement faire plus épique. Mais si, n’ayons peur de rien, surtout pas de piétiner la plus élémentaire vraisemblance. Côté scénario, c’est donc un peu le changement dans la continuité.
Côté Michael Bay, aussi : on retrouve ainsi les gags potaches au ras des pâquerettes – on peut dire que Bay a une bien piètre estime de son auditoire, s’il pense les contenter ainsi –, on retrouve aussi le duo parental chargé de faire le comic relief, on retrouve John Turturro et Shia LaBeouf, on retrouve la bombasse de service. Seulement, cette fois, il y a du changement : exit la brune et plate (enfin, en termes de jeu d’actrice, hein, on se comprend) Megan Fox, bonjour la blondinette Rosie Huntington-Whiteley qui, il faut bien le dire, est un brin plus intéressante que la précédente – malgré la plastique affolante qui lui a probablement servi de seule recommandation (son CV ? sa carrière de mannequin…) elle ose exister face à Shia LaBeouf, l’enfant chéri de la série, c’est vous dire ! Du côté testostérone, la sinistrose est de mise : Sam Witwicky, notre héros, chouine très fort parce que, malgré le fait qu’il a sauvé le monde – deux fois ! – le gouvernement n’a pas jugé bon de lui trouver un boulot, tandis que l’agent Simmons (Turturro), est traité comme un lunatique par ses anciens collègues. Sic transit…
On s’amuse donc très fort à voir les efforts déployés par Michael Bay pour parer aux critiques : un certain réalisme, moins de « bombasserie » gratuite (avec quand même une séquence introductive joliment putassière), moins de séquences « circuit touristique », une vraie noirceur, une tentative de briser les chaînes manichéennes qui, jusqu’à maintenant, handicapaient la saga… Une tentative qui tourne à vide, malgré tout. Lorsqu’on aperçoit un Megatron diminué se languir de son monde natal, pour la suprématie duquel il se bat, on cherche le semblant de profondeur qui pourrait annoncer, chez Michael Bay, une véritable tentative d’ouvrir les horizons de son cinéma. Mais non. Tout au plus, le metteur en scène a‑t-il pris en compte les retours cassants de la blogosphère, parfois pas tendre avec son côté sale gosse cassant ses jouets et jamais avare de commentaires vigoureusement narquois – en témoignent les tentatives de mener sa saga vers plus de maturité citées plus haut.
Mais ce n’est guère suffisant. Bay reste le cinéaste des trucs clinquants qui pètent, et pas de beaucoup plus. Transformers 3 est donc, avant tout, un nouveau catalogue de bagarre cataclysmique qui force toujours l’admiration par la perfection de ses effets, mais qui n’apporte pas grand-chose d’autre. La véritable faillite du film reste cependant le vide absolu de son argument : comme le souligne le héros, les robots semblent développer, finalement, une part humaine… à laquelle ne répond aucune spécificité « cybertronique ». Complètement anthropomorphes, ils ne diffèrent plus des humains que par leur taille, leur puissance. Le fait qu’ils se transforment, leur morphologie extraterrestre n’importe pas : une fois qu’on les met face à une problématique qui fait ressortir leur humanité, leur nature de robot ne sert plus à rien. D’où la conclusion, navrante, que Michael Bay fait du cinéma de coquilles vides – plus ils sont gros, plus ils cassent de trucs, et c’est tout ce qui compte.
Bay s’entend à la destruction massive, portée cette fois sur le seul territoire américain : ce n’est pas innocent. Pour la première fois peut-être, le réalisateur intègre véritablement l’ombre du 11-Septembre, et filme la panique et l’horreur de la destruction dans une grande ville américaine. Mais Bay n’est pas subtil, ni là ni ailleurs : c’est sur une musique triomphante que ses barbouzes débarquent sur Chicago, lancés depuis des avions en flamme. Pourtant, ces silhouettes terrorisées, hurlantes, chutant le long des baies vitrées de gratte-ciels massifs, on les a déjà vues… Heureusement, gadgets, musique et héroïsme bravache sont au rendez-vous : l’Amérique de Bay est une Amérique de héros sans peur, et il s’applique à leur donner le beau rôle (tandis que les Noirs venus de la société civile sont aussi du combat, mais ridicules et pleutres…). Au passage de sa section dans une rue dévastée, Bay filme ses boys surplombés par un fier drapeau stars and stripes, immaculé malgré la ville détruite tout autour. Et ce Grand Méchant qui lance à Optimus Prime : « tu n’as pas compris – le bonheur de tous vaut mieux que le bonheur de quelques-uns », devinez de quelle couleur est sa carrosserie ? Rouge, évidemment, comme au bon vieux temps…