Que faire du cas Michael Bay ? On pourrait s’en tenir aux impressions physiques que provoque la vision de ses films – migraines, poids sur l’estomac –, et à tout ce qui chez lui pourrait d’emblée rebuter – montage syncopé, mauvais goût dégoulinant, patriotisme bêta. Pourtant, rien de tout cela ne nous informe véritablement sur ce qui fait la particularité de son cinéma et pourquoi on y revient, malgré les obstacles à surmonter. Il y a chez Michael Bay une débauche d’énergie, un trop-plein visuel qui peut autant éreinter qu’agacer mais qui conserve un certain mystère. D’une part, parce qu’on a du mal à comprendre comment un cinéaste aussi bizarre et brutal parvient presque immanquablement à séduire les foules. De l’autre, parce que Michael Bay est un réalisateur paradoxal et obstiné, chez qui la recherche de nouveaux effets se couple à la reconduction systématique de tics contribuant à la lourdeur de son style. Un film de Michael Bay, à l’exception du réussi No Pain, No Gain, comédie sur l’idiotie puisant sa vitalité de la bêtise d’une imagerie dont Bay est l’un des chantres, c’est avant tout une centaine de tentatives de cadres, d’angles, de raccords, pour une idée réellement forte que l’on peut extraire de ce magma de bruit et de fureur. En somme un cinéma qui dépense à perte, mais dont la frénésie à plus ou moins tout tenter finit, à un moment ou un autre, par produire une image qui jure avec le reste et justifierait presque d’accepter la lourdeur de l’ensemble.
Pour un fragment
13 Hours, qui dépeint la bataille de Benghazi comme un siège en terre hostile, n’échappe pas à la règle. Si l’on peut d’abord s’étonner de la mollesse et de la lenteur de la mise en place, qui ferait presque croire que Bay s’est soudainement assagi, le naturel revient vite au galop lorsque le décompte des fameuses « treize heures » s’amorce. Bay réalise alors un fantasme cinématographique et spectaculaire : donner vie à une scène d’action continue, sans presque de temps morts, pendant près de deux heures. Si ce postulat donne lieu à un déferlement pyrotechnique commun à tous les films de Bay (l’un des personnages compare d’ailleurs l’affrontement à un feu d’artifice), ce cadre de jeu inspire aussi au cinéaste quelques visions étonnantes. Comme cette légère suspension, alors que l’ambassadeur et sa garde rapprochée se réfugient dans la salle de bain adjacente d’une pièce sur le point de s’embraser. Quelques secondes de répit avant que, sans heurts ni fracas, une épaisse fumée noire s’insinue sous la porte pour se propager dans la pièce close. Là est l’image sur une centaine évoquée plus haut, une brève parenthèse presque poétique au milieu d’un grand déchaînement sonore et plastique. Il en va de même dans la deuxième partie de la bataille, lorsque les soldats américains se retranchent derrière leurs murs pour attendre les troupes ennemis. Le terrain vague qui s’étend devant eux, avec au milieu un abattoir, offre l’horizon d’une lande peuplée d’ombres (appelée d’ailleurs par les soldats « zombieland ») qui se faufilent d’une pierre à l’autre, prêtes à dégainer. Le film vaut ainsi pour ces petites pierres brillantes mais mal dégrossies, à peine visibles dans le long ruban d’images saturées d’effets de manches qui se déroule devant nos yeux.
De la guerre
Reste une dernière source d’intérêt à dégager de ce film empesé : la rencontre entre la vulgarité de Bay, dont les soldats bodybuildés vénérant le Star and Stripes sont ici les hérauts, et un épisode historique emblématique de la politique américaine au Moyen-Orient. Au-delà de son américanisme indéfectible (plan de drapeaux et petites leçons de morales assénées à la population secourue), le film procède d’un mariage de genres qui dit en effet beaucoup des interventions militaires post-11-Septembre – le terrain d’un grand western où des cow-boys de pacotille croient repousser les limites de la Frontière en affrontant de nouveaux Indiens. Soit l’entreprise de déconstruction qu’entreprenait plus directement American Sniper, film toutefois plus retors, à tel point que son épilogue pouvait autant apparaître comme le fruit d’un regard critique sur la fabrique de l’héroïsme, une manifestation patriotique ou une simple convention de biopic. Bien que 13 Hours n’ait pas la même complexité, le panachage d’inspirations qu’il met en scène ouvre toutefois la porte à une lecture plus nuancée de ce qu’il raconte. Car si l’un des personnages qualifie littéralement la bataille de « remake de Fort Alamo en 2012 », le cadre du siège renvoie quant à lui autant à Assaut, variation sur Rio Bravo, qu’à La Nuit des morts-vivants et Zombie de Romero. On n’attendait pas vraiment du film qu’il dépeigne de la sorte, même involontairement, la guerre au Moyen-Orient comme un western dégénérescent.