« Perdre l’insoutenable de vue, c’est diminuer le trouble attrait de l’ombre,
et son envers, la valeur d’un rayon de lumière. »
De l’union entre Vitalina Varela et son défunt mari ne reste qu’une bâtisse en ruines, où la veuve s’est enfermée depuis sa récente arrivée au Portugal, loin du Cap-Vert, sa terre natale. Vitalina est en permanence surcadrée dans cette prison de béton et de ténèbres, où elle exprime chaque jour sa colère et sa rancœur envers celui qui l’a quittée à jamais. À la fin du film, elle se rend en pleine nuit sur la toiture de la demeure, dont on découvre le piteux état, pour repositionner la bâche qui empêchait l’eau de s’infiltrer dans la maison. Le ciel est d’un noir d’encre et le vent souffle violemment. C’est alors que Vitalina regarde au loin vers la gauche, à l’horizon, semblant apercevoir quelque chose à travers l’obscurité avant de poser sa main sur son front, comme pour se protéger d’une lumière pourtant inexistante. Flashback : la voici plus jeune, se levant du lit où dort son mari, à qui elle n’adresse ni mot ni geste. Inexpressive, Vitalina passe le pas de la porte d’une maison que l’on devine se trouver au Cap-Vert, puis elle s’arrête, immobile, regardant au loin tandis que le jour commence à se lever.

La lumière ne peut toutefois pas encore pleinement investir le cadre : Vitalina n’est, à ce stade, jamais sortie en plein jour et n’a pas fait ses adieux à son mari disparu. Il faut attendre la dernière séquence du film pour que l’obscurité laisse place à la lumière, dans une scène construite comme l’exact envers de celle précédemment évoquée. Un gros plan y montre Vitalina allongée sur son lit, en train de contempler la lueur qui perce le plafond de sa chambre. Elle se lève, ouvre une porte puis se dirige vers l’extérieur en laissant la lumière inonder son ancien tombeau. On aperçoit alors, sous un ciel bleuté, quelques ouvriers en train de réparer le toit de sa maison portugaise, avant qu’un flashback ne nous ramène des années auparavant, en face de la maison capverdienne. La jeune femme prend une brique et la porte à son mari, envers qui elle exprime un émouvant geste de tendresse. Elle achèvera sa trajectoire sur le toit de sa maison, les yeux rivés au loin, cette fois vers la droite, avec le même geste que dans la séquence dont celle-ci est le miroir. Au loin, les ténèbres ont laissé place à un ciel bleu azur : il aura fallu que Vitalina explore l’insondable obscurité du monde des morts pour retrouver la lumière de celui des vivants, et envisager d’un même geste son passé sous un jour nouveau, plus étincelant.