Dans l’inferno hollywoodien de Maps to the Stars, le plus grand péché hollywoodien semble être la destruction du lien familial : parents destructeurs, enfants-adultes, inceste… Quel rapport voyez-vous entre l’idée de famille et Hollywood ?
On peut voir Hollywood comme une famille, étrange, difficile, mais c’est une communauté où tout le monde se connaît. Chacun à Hollywood comprend les règles du jeu et les gens y sont en connexion les uns avec les autres. C’est le macrocosme d’une famille normale, ou plutôt d’une famille normalement dysfonctionnelle. Et c’est une famille très dure, particulièrement envers les enfants. On peut le voir avec ce que subit Benjie dans le film. Il est soumis à la pression incessante du succès, à l’ambition, au désespoir, à l’appât du gain, tous ces sentiments que l’on trouve partout, mais qui à Hollywood sont en surexposition. Je connais très bien tous les petits arrangements qui se décident entre les gens qui ont du succès et ceux qui n’en ont pas. Normalement, ce ne sont pas des choses auxquelles on pense en permanence mais dans le business du cinéma, c’est partout. On n’y échappe pas. C’est une pression énorme qui s’exerce sur tout le monde.
Vous pratiquez d’ailleurs un entremêlement très frappant entre les enfants-adultes et les adultes-enfants.
En fait les adultes ont seulement l’apparence d’adultes, mais ils n’en sont pas. Comme Julianne Moore l’a dit en conférence de presse, elle considère que son personnage est un enfant. Elle n’a jamais grandi. Et je ne pense pas non plus que les enfants soient des adultes. Benjie est un acteur, il sait comment jouer les adultes. Au fur et à mesure du film, on voit qu’il perd sa carapace de vice, de cruauté, de dureté.
Comment s’est organisée la collaboration avec le scénariste Bruce Wagner ?
Bruce a publié son premier livre Force majeure en 1991, sur un chauffeur de limousine à Hollywood. Et, d’une certaine façon, c’est le personnage qu’interprète Robert Pattinson : un type qui rêve de devenir acteur ou réalisateur mais qui gagne sa vie comme chauffeur. J’ai trouvé son roman fantastique. Nous sommes devenus amis peu après. Pendant des années, nous avons cherché une occasion de travailler ensemble, notamment sur une série télé. Mais ça n’a jamais marché. Bruce a écrit le scénario de Maps to the Stars il y a peut-être quinze ans et il me l’a fait lire il y a une dizaine d’années. Je l’ai adoré.
C’est son approche de l’éternel thème de Hollywood/Babylone qui vous a attiré ?
Vous savez, je ne suis pas en guerre contre Hollywood. Je ne me sens pas obligé de l’attaquer. Il y a des gens qui aiment faire des films sur le cinéma, ou des romans sur l’écriture. Ce n’est pas mon cas. Je n’aurais jamais pu écrire un tel scénario. Car, contrairement à moi, Bruce travaille, vit et a grandi à Hollywood. Je n’ai pas pu voir ce qu’il a vu mais je le comprends. J’ai quand même flirté quarante ans avec Hollywood et j’ai aussi mon lot d’expériences très étranges, exactement similaires à ce qui est raconté dans le film. Notre collaboration a vraiment été étroite et marquée par l’affection profonde qui nous lie. Quand Bruce écrivait le scénario, nous étions sans cesse en contact par téléphone pour y apporter des modifications, discuter des personnages… Et, même pendant le tournage, ce travail commun sur les personnages et les dialogues s’est poursuivi. Beaucoup de modifications ont été apportées pendant que nous tournions.
De quelle façon ce travail de long cours a pu impacter la représentation de Hollywood, pourtant très contemporaine et instantanée ?
Julianne Moore a accepté de participer au projet il y a huit ans déjà. Quand je suis revenu la voir, elle m’a redit « oui », mais nous avons dû apporter des changements au personnage, désormais plus âgé – ce qui est mieux, à mon sens. La modification a pu se faire facilement grâce à la manière dont je travaille avec Bruce. C’est un exemple des constantes transformations organiques du scénario original. La pression qui s’exerce sur un acteur de plus de 50 ans à Hollywood est énorme. Et la carrière de Julianne est incroyable : elle a 52 ans et elle continue de tourner tout le temps. Mais elle connaît beaucoup d’actrices de son âge qui, littéralement, n’existent plus. Passé un certain âge, elles n’intéressent plus Hollywood. C’est très brutal. Le fait qu’elle ait passé les 50 ans accentue cette brutalité dans le film. Et on voit comment le personnage sombre dans le désespoir avec ce sentiment de ne plus exister si elle n’apparaît pas dans un film. C’est terrifiant. Vous vivez toujours, mais pour Hollywood vous êtes mort.
Il y a aussi un travail très agressif sur la chirurgie esthétique et la monstruosité.
Il m’est arrivé de discuter avec des femmes qui envisageaient une opération. À chaque fois, le leur ai dit : « ne faites pas ça ! » Ça peut vous surprendre mais je suis très opposé à la chirurgie esthétique. On voit les résultats : ils ne sont plus humains. C’est pathétique et désespéré. Je ne comprends pas cette volonté de nier le vieillissement. Je trouve qu’il y a quelque chose de très beau dans le fait de vieillir. J’en suis la preuve, non ? (rires) Je crois qu’il faut accepter la réalité du corps humain. La combattre, c’est combattre l’essence de l’être humain. On naît, on se transforme, on vieillit : c’est la réalité. L’art, la religion nous servent à fuir cette réalité. Je ne crois pas à ça. Je pense qu’il y a de la beauté dans l’acceptation. Il n’y a qu’à regarder Julianne Moore…
Pensez-vous que le culte de la jeunesse dans le star-system a changé depuis dix ou quinze ans ? La compétition que se mènent les stars adolescentes est d’une violence assez inédite…
Je ne sais pas. La fascination pour la jeunesse a toujours existé. Nous sommes génétiquement programmés pour rechercher la jeunesse – je parle de Darwin, de l’évolution. Quand nous cherchons un partenaire sexuel, nous jetons notre dévolu sur une personne jeune et fertile. Après, la culture occidentale n’est pas uniforme. Par exemple, la manière dont sont perçues les femmes d’un certain âge au Canada, mon pays, n’est pas la même qu’en Europe. Je caricature mais les femmes européennes même âgées s’habillent avec élégance, elles sont fortes, elles ont une vie sexuelle… En Amérique du Nord, elles font du shopping.
Le générique du début et de fin tranche par sa naïveté, on dirait un ciel étoilé au plafond d’une chambre d’enfant. C’est du cynisme ?
Les « cartes des étoiles » (star en anglais mêle le sens de « célébrité » et « étoile », NDR), ce sont ces plans que l’on vend aux touristes qui débarquent du Kansas à Hollywood. Elles indiquent où se trouve la maison de Marilyn Monroe, où vivait James Dean… Leur design est très enfantin. C’est l’expression de cette vision très naïve, très innocente de Hollywood. Les personnages sont innocents puisque ce sont encore des enfants. Mais il n’y a pas d’espoir pour eux. De mon point de vue, il n’y en a pas. Je ne crois pas en la survivance de l’âme. Nous disparaissons dans la mort, nous sommes annihilés. Cela ne veut pas dire qu’il n’existe pas d’espoir dans la vie réelle. Mais pour les personnages, il n’y en a pas. J’espère que le public sera capable d’accepter ça.
Un dernier mot sur le livre que vous êtes en train d’écrire…
Il est achevé et il sera publié en France chez Gallimard, un très bon éditeur. Je ne peux rien vous dire de l’histoire à part qu’il y a un personnage français très fort et qu’une partie du récit se déroule à Paris. Mais vous devrez attendre de le lire pour découvrir la suite…