De cette vingt-deuxième édition émergent principalement deux films, et surtout une actrice : Sigrid Bouaziz.
Respiration difficile
Certes on ne saurait dénigrer la qualité des programmations de Pantin ; cependant l’on regrette parfois de ne pas pouvoir donner isolément leur chance aux films, les picorer un par un. En les enchaînant d’une traite, on manque parfois de respiration : le plaisir est plafonné par le niveau d’exigence d’une sélection rarement généreuse ou aérée, dans laquelle il faut souvent avancer à tâtons. D’un extrême à l’autre : des films abscons dont on ne sait quoi tirer (Mange tes morts d’Amélie Derlon Cordina, Six degrés de séparation d’Harold Miller) aux subits appels d’airs du festival, toujours bienvenus quoique souvent modestes (La Fugue de Jean-Bernard Marlin, Où je mets ma pudeur de Sébastien Bailly), la population de la sélection grouille d’odes à la déroute, à la sortie de terrain, bien incarnées par les productions Ecce (Déjeuner chez Gertrude Stein d’Isabelle Prim, Malfaisant d’Alexia Walther et Maxime Matray). C’est le cabinet des curiosités : pris tous ensemble, les courts forment un grand tableau boiteux et coloré, un amoncellement anomique.
Rêve et réalité
Si l’on distingue grossièrement deux versants de la jeune création française, qui seraient d’un côté les réalistes, et de l’autre les romantiques, alors Pantin a jeté son dévolu sur ces derniers. L’incontournable Yann Gonzalez – sa carrière en courts-métrages est peut-être la plus remarquée de la décennie qui vient de s’écouler, notamment à Côté Court – était clairement attendu après la présentation à Cannes des Rencontres d’après minuit. Son nouveau court Land of My Dreams fait mouche mais garde le goût d’un film quelque peu machinal, empreint du talent évident du cinéaste : alliance stupéfiante de la rondeur des corps et de l’angulosité des cadres, son harmonie frontale envoûte forcément, et ce filmage sans faille fait le nécessaire pour habiller un film lancinant qui ne propose pourtant pas beaucoup plus que son actrice fétiche (Julie Brémont) et sa contrainte de lieu (la région de Porto). Néanmoins, c’est bien dans cette veine romantique qu’on retrouvera nos deux coups de cœur du festival ; deux films qui partagent également la grâce charnue de Sigrid Bouaziz : Jeanne de Dania Reymond et Pour la France de Shanti Masud.
Le défaut apparent de Jeanne est en fait sa plus étonnante qualité : court récit d’une jeune femme enfermée dans un hôpital psychiatrique, persuadée d’être Jeanne d’Arc, le film s’asphyxie dans une fermeté opiniâtre. La sécheresse blafarde des décors accueille des corps et des visages gonflés (Sigrid Bouaziz), tombants (un Benoît Jacquot remarquable) ou étirés (l’infirmière asiatique) qui se donnent à scruter, plein cadre, dans toute l’irrégularité de leur chair. Ils forment un étrange portrait de groupe du vivant pris dans un écrin mort, au son de la pieuse assurance d’une héroïne déboussolée, dont les prières butent sur des intérieurs inertes. Dania Reymond semble aussi magnifiquement têtue que sa Jeanne. Son geste n’est jamais oblique ou accessoire : elle va tout droit, au bout, comme guidée par la nécessité, quitte à filmer un contrechamp sur un plafond (peut-être le plan le plus stupéfiant du festival). Son aplomb fait de Jeanne un poème blanc et sévère, composé sur les thèmes du vivant, de la certitude, du corps.
C’est cependant Pour la France de Shanti Masud qui aura reçu notre Prix de la presse. Bien que la réalisatrice se défende d’avoir vu le film de Wenders, on ne peut s’empêcher de penser aux Ailes du désir, qui trouvent ici une réminiscence féminisée, teintée de romanesque, que vient souffler sur Paris une actrice très bergmanienne, Friedelise Stutte. Le temps d’une nuit et d’un jour, se présentant comme un ange, elle veille comme une fée sur une poignée de jeunes gens qui gravitent alors avec elle. Bien sûr, Pour la France est beau, précis, nimbé d’un noir et blanc opalin, mais il n’est pas qu’un joli objet anachronique. La mise en scène, virtuose, emploie le classicisme comme un jeu des regards et des rapports faisant de certains moments des bijoux de finesse et de précision (la scène du café). Elle l’invoque aussi comme un songe, qui laisse sourdre une sorte de magie, d’enchantement nocturne autour de la lune et des motifs musicaux. Le film se traverse comme un conte de fées ; c’est un authentique envoûtement, qui demeure en nous – jusqu’à, on l’espère, l’année prochaine.