« Il ne s’agit pas d’un mystère à résoudre » nous annonce Peter Brosens, coréalisateur d’Altiplano, avant la première mondiale, mais plutôt d’une œuvre à laquelle il faut penser comme « un poème, une peinture ou un morceau de musique ». Boris Vian estimait que le cinéma était appelé à devenir le plus complet de tous les arts – sans doute aurait-il été confronté dans cette position par la vision d’Altiplano. S’il faut présenter le scénario du film, qu’il suffise de dire qu’il confronte la douleur de deux femmes, la péruvienne Saturnina et la belge Grace, qui toutes deux verront mourir celui qu’elles aiment. Cependant, c’est dans la déclaration désespérée de Saturnina qu’il faut chercher la clé réelle d’Altiplano : « s’il n’y a pas d’image, il n’y a pas d’Histoire. » En Belgique, Grace renonce à la photographie suite à la mort d’un proche collaborateur ; tandis que son mari émigré au Pérou, Max, n’existe plus que par les vidéos qu’il lui envoie ; au Pérou, le village de Saturnina est victime d’un empoisonnement au mercure : nombreux sont ceux à qui a été enlevée la vue, avant qu’ils ne meurent – y compris le mari de Saturnina, dont la jeune femme ne pleurera la disparition qu’avec la perte du portrait de son mari.
Et donc, s’il y a image, il y a Histoire. Rythmée par un tempo lent et mélancolique, la mise en scène de Jessica Woodworth et Peter Brosens allie plans larges, écrasants, qui magnifient les paysages primordiaux du Pérou ; images à la lumière si travaillée qu’elles évoquent les tableaux de Vermeer ; et travellings circulaires d’une merveilleuse virtuosité. Poème visuel absolu, Altiplano épuise les sens, comme une œuvre bouleversante perpétuellement renouvelée, et lorsque la musique d’Henryk Gorecki illustre la magnifique scène finale, les mots s’étranglent dans la gorge, tant apparaît évidente leur incapacité à décrire la beauté d’Altiplano.