Après le film de mecs signé Jacques Audiard, voici le film de gonzesses par Jane Campion. Trêve de plaisanterie. Il est devenu très facile de tomber sur le pif de la cinéaste néo-zélandaise, palmée pour son irritante Leçon de piano. Tout le monde s’entend assez bien sur le terme qui règle son cas en moins de deux et qu’on ne sort pas, dans le milieu critique, sans quelques huées bien senties : l’académisme. Mais enfin, l’académisme ce n’est pas la mort ! Plutôt une basse continue qui ronfle doucement à côté des grands films, sert de référent à tous les pics d’audaces et récupère d’une main les échecs cuisants. Les films académiques sont généralement plats et inoffensifs mais ils accueillent parfois dans leurs rangs quelques (rares) réussites. On ne peut jamais l’attribuer à l’auteur car, dans le domaine, la réussite est toujours le fruit du hasard, un concours de circonstances, une convergence fortuite d’énergies positives. Le film académique ressemble un peu à cette bonne vieille paire de charentaises, trouées, usées, mais si confortables, qu’on porte assis dans son fauteuil au coin du feu lorsqu’on a laissé tomber son Derrida pour feuilleter un programme télé. Ici, Jane Campion s’intéresse à la dernière histoire d’amour du célèbre poète anglais John Keats, mort à 25 ans, avec Fanny Brawne, jeune fille de propriétaire, oisive, entichée de mode et n’entendant rien à la poésie. Reconstitution, costumes, langue anglaise soignée, voire précieuse, bienséance à tous les étages… Ouille ! Ça commence mal.
Qu’est-ce qui nous donne alors l’envie de soutenir Bright Star malgré tout, malgré lui ? C’est certainement que, dans un festival rongé par la passion, où le cul tendance hardcore règne en maître, où l’on dépèce des prostituées, où l’on s’enfile à tout va, où l’on s’excise plein cadre avec une paire de ciseaux, Jane Campion – qui parle elle aussi de passion ardente – a opté pour la suggestion. Elle se place dans un univers où le moindre frôlement d’étoffe vaut tous les coïts du monde, où la robe qui dissimule beaucoup et montre peu, en dit mille fois plus sur le corps féminin que les innombrables paires de nibards qui ballotent sur tous les écrans. Ce n’est pas sans raison que Campion choisit comme héroïne une jeune femme qui confectionne elle-même ses tenues : Bright Star, contre toute attente, investit le champ d’un érotisme – celui des longues traditions puritaines – qu’ignore carrément tout le reste du festival. Ainsi, quand Fanny Browne (Abbie Cornish, replète et affriolante) se découpe un décolleté ou se pare d’une collerette audacieuse, c’est toute notre âme de midinette qui se réveille, ainsi que le souvenir d’une longue et noble éducation au désir. En dehors de cela, le film ne dit absolument rien de la poésie en général, ni de celle de Keats en particulier. Nous n’aurons droit qu’à de vagues extraits, très réduits – il ne faut pas non plus saouler le spectateur – de ses textes, en guise de digest et en voix off faussement pénétrée. Campion s’empêtre dans une minutie de reconstitution bien souvent sclérosante et se crève à faire de chacun de ses plans une toile de maître. Mais, comme toutes les grandes dames corsetées et embourgeoisées, elle garde le secret d’un érotisme perdu. Ce n’est pas rien.