Dès le troisième jour du festival, on ne parlait déjà plus que de lui. La projection d’Un prophète avait presque tué dans l’œuf toute compétition. C’était sûr : celui-là repartirait récompensé, sinon palmé. Le cinéma de Jacques Audiard retrouvait avec ce film taillé pour la gloire, habité d’un bout à l’autre par l’ostensible volonté de faire date, le large consensus médiatique qu’il récolte systématiquement depuis au moins trois films. Ce dernier n’est rien d’autre qu’un récit d’apprentissage. Il décrit l’ascension de Malik (Tahar Rahim, dont le nom va bientôt s’éclaircir), depuis le jour de son incarcération où il ne possède rien, ni biens, ni famille, ni amis, jusqu’à celui de sa libération où il a tout acquis, du fric, une femme et toute une armée de truands à ses ordres. Tout le temps de son enfermement – auquel s’attache le film – il n’aura pas chômé : il a beaucoup travaillé et gagné gros. La narration invite le spectateur à jouir de la débrouillardise de Malik qui, gourde au début, est forcée de s’activer par la pression du milieu, son hostilité et sa rudesse. À peine arrivé, le voilà sommé par les Corses d’assassiner un Arabe, son voisin de cellule, témoin gênant dans un procès. Ce baptême du feu éveille ses capacités et l’inscrit sur les petits papiers du chef de ses commanditaires. Pas un seul temps mort : une tension permanente nous conduit tout au long du film. C’est le gros (et gras) talent d’Audiard : lancer une machine qu’on ne peut plus arrêter, prise dans un élan qui emporte tout. Les scènes filent, se succèdent dans une grande impression de fluidité, un écoulement à la fois pur et excitant.
Alors, inattaquable Jacques Audiard ? Loin de là. Déjà, on peut remarquer une chose : c’est que toutes ses qualités sont avant tout scénaristiques. Parions que lire le script d’Un prophète doit certainement s’avérer aussi excitant que de voir le film. Passons rapidement sur la balourdise de la mise en scène pour en venir au fait, à ce que ce cinéma a de plus énervant et qui tient à son fond. Audiard semble depuis toujours fasciné par la virilité. Ses films fleurent bon la chaussette, le vestiaire mal aéré et le calbut pas frais. On y reste entre couilles et c’est très bien comme ça : les bonnes femmes assurent le repos du guerrier. Elles ne tiennent un rôle à leur hauteur que si elles sont moches et mal fringuées (Sur mes lèvres). Autant dire que cet opus, qui se passe presque intégralement en prison, n’échappe pas à la règle. Si Audiard se réfère tant au polar et, plus précisément, au film noir, c’est pour se vautrer dans son pire versant : ce réconfort pour une masculinité en berne devant le spectacle de sa testostérone perdue et, pour le coup, totalement mythifiée. Cette grosse tendance réactionnaire ne poserait pas tant de problèmes si elle ne débouchait sur tout un tas d’absurdités que nous, spectateurs, somme prêts à avaler goguenards sous le charme du film : la prison comme école de la vie où seuls les plus malins et les plus habiles s’en sortent, la réussite présentée comme une suite toute bête d’acquisitions, l’éloge de la possession et du « toujours plus », le respect de ceux qui pèsent et entubent les autres, la prostitution de soi pour l’amour des règles du jeu, l’individualisme forcené gonflé d’une duplicité nécessaire. À la cérémonie de remise des prix, Audiard à avant tout remercié ses banquiers (UGC, Canal+ et France 2). Jusqu’au bout, on s’est cru dans la parodie d’un titre de rap west coast. Tout cela sent bien mauvais, mais c’est à ce prix qu’on devient un homme, mon fils.