Si l’on serait bien en peine de relever un plan frappant dans Everybody Knows, le nouveau film d’Asghar Farhadi, on pourrait toutefois recomposer a posteriori sa dramaturgie par la seule évocation des nombreux sons marquants qui essaiment l’avancée du récit. Le tic-tac d’une horloge (suspense), le ding-dong trop précoce d’une cloche (l’annonce d’une cérémonie qui va mal tourner), le vrombissement d’un drone survolant une fête de mariage (le surplomb des Dieux qui dictent le destin des mortels), le coup de tonnerre qui précède la vibration d’un téléphone (le déchirement d’une mère qui lit un message entérinant ses plus grandes craintes), le grincement d’une porte mal huilée qui résonne dans une maison désertée (la solitude d’un homme qui a sacrifié son existence) : le son obéit à une stratégie rythmique bien sentie, enrobant les moments forts du thriller, tout en pointant le vide des images qui défilent à l’écran. Car le vide est peut-être précisément le sujet du film, tant Farhadi insiste, pas très subtilement, sur la vacuité des petites épiphanies propres aux réunions familiales – la mine outrée d’un parent qui cherche à faire rire un enfant, la danse surjouée d’un fêtard qui amuse la galerie, les embrassades d’une famille qui va pourtant progressivement se déchirer autour de vieux conflits jamais résolus.
À quelle fin ? L’événement déclencheur (le kidnapping d’une jeune fille) ébranle l’harmonie de surface et réveille le fond bourgeois de ces instantanés euphoriques, auxquels le cinéaste oppose dans son montage les visages des badauds contemplant, sans joie, l’effusion de bonheur de la fratrie fêtant un mariage. Ainsi, Paco (Javier Bardem, le véritable héros du film) soupçonne d’abord ses employés émigrés d’être derrière le rapt, non par réflexe purement raciste, mais en se posant la question perverse « Et si… ? », avant d’être lui-même violemment ramené à son origine sociale (il est le fils d’un domestique) par le patriarche de la famille. Le film accouche dès lors d’une fable grossièrement tricotée et d’une tragédie enflée, insistant sur des symboles et objets (l’horloge, une porte ballottée par le vent) pour donner laborieusement chair au fatum.