Un héros appartient à une catégorie de films dont le Festival de Cannes est ordinairement très friand, mais dont on n’avait pas encore vu de représentant cette année en compétition : celle des thrillers psychologiques sociétaux, qui combinent efficacité dramatique et regard « politique » sur la société qu’ils ambitionnent, en sous-main, d’ausculter. Il est indéniable que le scénario du nouveau Asghar Farhadi offre un écrin idéal pour une telle stratégie narrative. Le film raconte les déboires de Brahim, en prison pour une dette qu’il n’a pas su rembourser, et qui se voit célébré comme un héros après avoir supposément rendu à sa propriétaire une somme d’argent conséquente qu’il aurait trouvé lors d’une permission de sortie. Tout tient, justement, dans le « supposément » : comme le résumera l’un des membres de l’institution pénitentiaire qui cherchera à capitaliser sur le geste noble de Brahim, ce dernier est au choix « très naïf ou très intelligent ». Cette ambivalence touche presque tous les personnages, des membres d’une association d’aide aux prisonniers à la propriétaire revendiquée des pièces d’or. Les petits mensonges se mêlent à la vérité, tandis que Brahim, portée par l’euphorie de sa notoriété nouvelle, brode un peu son histoire et que le récit ne cesse de creuser des zones d’ombre pour instiller le doute sur les intentions du personnage. Alors, héros ou escroc ? La question au fond importe peu, car Farhadi s’intéresse surtout à la construction d’un discours médiatique et à la manière dont chacun essaie de tirer profit de ce fait divers. Plus encore, il détaille, à des fins là encore « d’efficacité », comment l’étau se resserre doucement autour de Brahim, à mesure que les doutes et les obstacles se multiplient.
Le film prend ainsi la forme d’un piège qui se referme peu à peu sur le personnage principal, non sans cultiver un certain chantage à l’émotion (tout ce qui se joue autour du fils bègue), et brille davantage par la précision millimétrée de son récit que par la finesse de sa mise en scène. Un personnage en particulier apporte toutefois un peu de complexité et permet d’enrichir par endroits le programme attendu : la compagne de Brahim, qui par son action permet plusieurs fois au personnage de s’extraire de l’impasse dans laquelle il s’est lui-même acculé. Film tenu, sans grandes qualités, consistant narrativement mais parfois appuyé dans ses effets (le dernier plan, partagé entre liberté et claustration), qui coche donc suffisamment de cases pour espérer figurer au palmarès.