Dans le générique de fin des Filles du soleil, une reporter de guerre, Mathilde (Emmanuelle Bercot), assise à l’arrière d’une voiture, le visage baignant dans la lumière, entame intérieurement la rédaction de l’article qu’elle compte tirer de son séjour auprès d’une troupe de soldates kurdes. Le verbe est fleuri, le ton résolument militant, la musique larmoyante à souhait. Au sein de cette conclusion, au sens scolaire du terme (à la manière d’une synthèse, on y décrit une scène déjà vue), les modalités de la séquence se structurent hiérarchiquement de la façon suivante : 1) Le discours. Le film affiche sans détour un propos à la fois féministe et hagiographique (sur le mode « Nous les femmes » ou bien encore « Nous sommes toutes des héroïnes ») glorifiant une cause à laquelle bien entendu le spectateur souscrit (la lutte armée d’anciennes captives contre des extrémistes islamiques qui asservissent des femmes et petites filles pour en faire leurs esclaves sexuels). 2) La littérature. Le texte que tisse mentalement Mathilde a beau être journalistique, il participe d’une poétique glorifiant l’action armée des femmes contre l’obscurantisme. 3) La musique. Elle pousse la tonalité de la scène vers un lyrisme flamboyant et terminal, selon une logique opératique de finale. 4) Enfin, le plan : la position de Bercot dans le cadre (légèrement de profil, le visage maculé de larmes et illuminé par le soleil), l’astre qui brille, le mouvement qui éloigne la femme du lieu de l’action, le regard porté sur la nature devant elle.
Ce que raconte la scène, toutefois, ne vient pas de l’intérieur du plan, de ce qu’il fait, mais plutôt de sa surface – la voix, la musique, le propos savamment organisé. Ce qui se joue dans cette scène, et plus largement dans l’ensemble du film, monocorde, articulé autour de deux trames narratives (au passé : le récit du chemin de croix de Bahar, jouée par Golshifteh Farahani ; au présent : les actions de son commando), tient de fait davantage du tract que du cinéma. On pourrait s’en moquer, se dire que le film d’Eva Husson a au moins une valeur informative, qu’elle n’en est qu’à son deuxième essai, qu’après tout le cinéma a aussi cette valeur de pouvoir toucher un public par son thème et sa représentation d’enjeux de société. Ou bien, on peut aussi considérer que la vision du Livre d’image nous a suffisamment prouvé que raconter passe par faire, qu’une image peut éclore en dehors du cadre académique de la séquence décrite, que les bonnes intentions ne font pas un film et qu’il est possible de « sensibiliser un public » à une cause louable en faisant précisément autre chose que seulement chercher à le sensibiliser (par un discours édifiant, par une musique émouvante). Pour ça, on a des spots du gouvernement ou des articles de presse, pas besoin d’aller à Cannes.